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activité était en dehors de tout ordre légal ; elle était essentiellement individuelle (celle des poètes par exemple ou des philosophes), et par conséquent sans action suffisante et directe sur la société. De là un antagonisme, qu’il exagère d’ailleurs quelque peu ; car, excepté quelques incidens particuliers, tels que la mort de Socrate ou l’exil des philosophes sous Domitien, on ne voit pas beaucoup de conflits de ce genre dans l’antiquité ; cependant le peu d’action exercée par le génie libre et individuel suffit pour justifier relativement l’opinion d’Auguste Comte. L’institution d’un pouvoir spirituel distinct est donc la première tentative efficace pour donner à l’esprit une part de puissance, légale, organisée à côté de la puissance de la force. Cette puissance n’était pas matérielle, elle n’avait pas d’armée à sa disposition ; mais, par la vertu de la loi, elle était néanmoins une autorité et une puissance. Elle avait un code et des lois à elle, une hiérarchie organisée, des biens temporels et une action immense sur les souverains et sur les peuples. Et cependant elle ne représentait rien autre chose que l’esprit, la morale, la vie future, tout un ordre d’idées matériellement insaisissable et qui avaient cependant moulé en quelque sorte la société sous leur empire. Constituer une pareille puissance à côté de la puissance légale et militaire, les faire vivre ensemble dans une sorte de paix et d’harmonie avec des attributions distinctes et indépendantes, Auguste Comte signale ce système, « malgré les préjugés actuels, comme le plus grand perfectionnement qu’ait pu recevoir jusqu’ici le problème social. »

De ce point de vue général d’apologie, on comprend qu’Auguste Comte n’aura pas de peine à justifier toutes les parties de l’organisation catholique que la philosophie du dernier siècle a si violemment attaquées. Il ira jusqu’à renchérir sur Chateaubriand lui-même : 1° Les moines. L’accusation du XVIIIe siècle était que les moines amassaient des richesses dont ils jouissaient aux dépens des autres hommes, qu’ils enlevaient à la société des membres utiles ; que, par le célibat, ils nuisaient à la population, qu’ils donnaient en même temps l’exemple des mauvaises mœurs. À ces accusations si souvent répétées, en réservant la question de la décadence, Auguste Comte opposait « le caractère international » des ordres religieux, qui tendait à maintenir partout, sans distinction de frontières, l’esprit de généralité et de fraternité qui distingue l’ordre chrétien. — 2° L’éducation du clergé. Auguste Comte rappelle, comme on l’avait fait souvent, que le clergé représentait au moyen âge la science la plus avancée ; mais une observation qui lui appartient en propre, c’est que l’éducation ecclésiastique a révélé l’importance d’un élément capital essentiel à la science