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professeur K. Mitsukuri, de l’université impériale du Japon, pour diverses informations ou suggestions. Son livre offre un intérêt sans égal, non-seulement par un exposé exact de l’état intime du Japon et par des conseils judicieux pour la solution des difficultés présentes ou prochaines, mais surtout par la révélation des impressions et des anxiétés d’une âme d’extrême Orient, eût-elle été pendant plusieurs années imprégnée des enseignemens des États-Unis, devant l’imminence de l’introduction en Asie de la civilisation occidentale. Les hésitations et les craintes d’un Japonais, hôte et élève de l’Amérique du Nord, nous feront mieux comprendre les appréhensions et les répugnances des Chinois à adopter ce que nous appelons si fièrement nos progrès.


I

En lisant l’ouvrage de M. Yeijiro Ono, avec l’attention que méritent et le sujet et l’auteur, on est frappé à la fois du sens historique et de la faculté d’abstraction de l’écrivain oriental. Le Japon, d’après lui, traverse une phase analogue à celle qu’a parcourue l’Occident de l’Europe, particulièrement l’Angleterre, au XVIIIe siècle. Pour justifier cette conception, il s’étend en rapprochemens ingénieux. Fort au courant de la littérature économique, il cite Arthur Young, Quesnay, d’autres encore. À ce dernier, il donne le rang d’un homme d’état. La tâche qui s’impose au Japon, écrit-il, c’est, au point de vue législatif et administratif, de réaliser les réformes des grands statesmen du XVIIIe siècle ou du commencement du XIXe, Walpole, Quesnay, Turgot et Stein ; c’est aussi, au point de vue économique, œuvre infiniment plus dangereuse, de précipiter dans le cours de quelques années l’introduction des machines, qui a exigé en Europe, depuis le premier métier à filer d’Arkwright en 1771, notablement plus d’un siècle. Enfin, le troisième terme du problème, c’est l’évolution morale : un nouvel idéal de vie a été conçu, et chaque jour, quoique inconsciemment, il se développe au fond du cœur de la nation. Fréquemment, M. Yeijiro Ono revient à cette observation : la transition industrielle va nécessiter une révolution dans l’éthique sociale, un nouveau code de l’éthique.

La transformation accomplie si rapidement au Japon n’est encore qu’une ébauche ; elle n’a presque qu’un caractère politique. Le régime féodal a été détruit ; mais il n’est pas remplacé. Les lois politiques récentes ne peuvent se soutenir sans industrie ; c’est seulement parmi les peuples industriels, dit notre auteur avec une légère exagération, oubliant les anciens petits cantons suisses, que