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comme exposition musicale, traité avec autant de désinvolture et de naturel que de goût. Deux thèmes légers et naïfs voltigent constamment à la surface de l’orchestre et caractérisent finement l’activité juvénile et joyeuse des élèves et des ouvriers. L’orchestre jase à mi-voix, comme un compagnon encore plus gai que les autres. Et pourtant que de nuances il sait marquer ! N’en citons qu’une, indiquée dans une lettre, récemment publiée, du compositeur lui-même. Quand Benvenuto, corrigeant les dessins de ses élèves, arrive au dessin fautif de l’un d’eux : « L’orchestre, dit M. Saint-Saëns, joue à l’envers le motif du travail. » C’est un rien sans doute, et qui nous eût échappé, mais un rien spirituel et ingénieux. Aucun danger, d’ailleurs, que M. Saint-Saëns abuse jamais de ces vétilles et tombe dans le maniérisme et la chinoiserie. Il revient tout de suite à la franchise et au naturel, témoin le chant d’Ascanio confiant à son maître son amour naissant. Il y avait, au début d’Henry VIII, également une confidence d’amour : La beauté que je sers est blonde, mais qui ne valait pas celle-ci. Après Ascanio, Scozzone, « après l’ami, l’amie, » comme dit Benvenuto avec une note de passion plus vive, avec un accent de profonde tendresse. Pour rassurer l’ombrageuse fille, quels élans spontanés et sincères ! Pour chasser du front de la jeune Florentine la dernière ombre de jalousie, quelle clarté rayonne dans la magnifique période : Tu n’as qu’une rivale : L’éternelle beauté qui fait l’art immortel ! Pour la première fois, l’enthousiasme esthétique, l’amour immatériel de l’idéal apparaît dans le rôle de Benvenuto. Pour la première fois également, la mélodie de M. Saint-Saëns, très facile, très abondante, effleure la vulgarité, mais l’évite avec une merveilleuse adresse. Un instant, quand viennent les dernières mesures : « Puisque c’est toi que j’aime sur la terre, Laisse-moi librement l’adorer dans le ciel, » on craint une terminaison banale, une rosalie. Mais par l’imprévu d’une modulation très simple, comme un pilote par le moindre coup de barre, la phrase musicale tourne la difficulté, ou plutôt la facilité qui la menaçait, et s’achève avec une originalité qu’on n’osait plus espérer.

Nous avons aimé beaucoup la fin de ce premier tableau : les complimens du roi, accompagnés d’un élégant dessin de flûte, allongé comme une arabesque renaissance. Voilà bien la couleur du temps, telle qu’il suffisait de l’indiquer : gracieuse et sobre. Quelques notes de harpes, vibrant sous des appels de trompettes adoucies, donnent à certaine phrase de François Ier annonçant la visite de Charles-Quint une allure chevaleresque et princière. Dans le dialogue de la duchesse et d’Ascanio, quelle coquetterie ! Tandis que le gentil orfèvre essaie le cercle d’or au bras docile de la favorite, quelle insistance à l’orchestre d’un petit motif, pour ainsi dire oblique, insidieux, plein de sous-entendus, de provocations et de promesses de femme ! Signalons encore dans ce