indestructible. Les anciennes acropoles, les temples, les statues des dieux, même les nids de pirates, tout est pris, fixé à jamais dans cette forte maçonnerie, qui leur communique sa raideur et sa durée. En vain les populations illyriques se débattent une dernière fois sous l’étreinte ; une secousse formidable ébranle le sol depuis le Danube jusqu’à l’Adriatique et trouble les dernières années d’Auguste : quatre années d’une guerre sanglante et la froide valeur de Tibère terminent ce que les conquêtes de la république avaient commencé.
Du même coup s’achève le système qui gravite autour de la Méditerranée, avec Rome pour centre et les routes militaires pour rayons. Ce grand lac intérieur transporte les flottes, les matériaux, les hommes, d’un bouta l’autre de l’empire. Le vaisseau qui le traverse dans toute sa longueur suit précisément la corde de l’arc que les légions décrivent pour gagner l’Afrique ou l’Asie. Jamais empire n’eut une base d’opération plus étendue, plus rapide et plus sûre que cette mer, dont tous les points convergent dans la direction de la ville éternelle, et qui concentre les efforts au lieu de les disperser. Vingt mers différentes, baptisées d’après les rivages, mers gauloise, ibérique, africaine, punique, égyptienne, la mer Egée, le Pont-Euxin lui-même, ne sont que les rameaux de ce lac romain qui pénètre, baigne, alimente et réconforte les membres d’une immense fédération. Désormais l’empire a deux faces : l’une sombre, tournée vers l’inconnu des plaines sans limite et des nations sans frein : là veillent les sentinelles, « un doigt levé dans l’attitude du silence ; » là s’ouvrent des espaces indécis au fond desquels s’agitent les tribus inquiètes, travaillées par de sourds fermens. L’autre face est toute lumineuse : elle regarde les mers intérieures sillonnées de voiles, bordées de cités blanches, presque toujours encadrées de montagnes dont les pentes se couvrent de maisons de campagne, de jardins, de terrasses et de vignobles. Dans ce majestueux déversoir, les greniers d’Afrique et d’Asie jettent incessamment leur trop-plein. Les statues et les temples, répandus d’étage en étage, reçoivent chaque jour la première et la dernière caresse du soleil. À le considérer de haut et de loin, ce bassin maritime semble un ardent miroir d’où la vie et la chaleur rayonnent sur le globe, de la même manière que le soleil des Antilles, répercuté dans le golfe du Mexique, vient, à travers le gulf-stream, réchauffer les brumes de notre Europe. Ainsi la Méditerranée fut véritablement le régulateur de l’ancien monde.
Dans ce système, l’Adriatique accomplit, autour de Rome, sa révolution secondaire. Elle a désormais son cadre et son rôle bien définis. Elle tient, par Aquilée, l’une des clés de l’empire ; là sont réunis les vivres et les fourrages de l’armée ; là, les galères