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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/133

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Hamilton, quand, voyageant en Asie-Mineure, il y a une cinquantaine d’années, ils découvrirent un aigle bicéphale du même modèle, gravé au milieu de scènes religieuses dans des bas-reliefs de la Ptérie qui remontent à la civilisation des Hettéens ! Il est malaisé d’admettre que, des deux côtés, on ait spontanément imaginé, en traits identiques, une représentation aussi contraire aux lois de la nature. M. de Longpérier a donné le mot de l’énigme, en rappelant que l’aigle à deux têtes remplaça seulement l’aigle monocéphale, dans les armoiries de l’empire, après l’expédition de Frédéric II en Orient, et qu’au commencement du XIIIe siècle il figurait sur les monnaies, ainsi que sur les drapeaux des princes turcomans, alors maîtres de l’Asie-Mineure. Ceux-ci l’avaient adopté comme symbole de toute-puissance, peut-être pour figurer le Hamca, l’oiseau fabuleux des traditions musulmanes, qui enlève le buffle et l’éléphant comme le milan enlève la souris. Ainsi la race turque, fait observer M. Perrot, à qui nous empruntons ce renseignement, s’est vu, à Lépante et à Belgrade, fermer l’entrée de l’occident par l’aigle qui l’avait conduite triomphante sur les rives de l’Euphrate, — et dont elle-même, peut-on ajouter, avait sans doute emprunté l’image aux sculptures taillées par ses mystérieuses devancières sur les rochers d’Euiuk et de Jasilikaïa[1].

À défaut d’indications suffisantes qui résultent de la forme, l’identité de signification et d’emploi peut donner de fortes présomptions pour la parenté des symboles. Il n’y aurait rien de surprenant à ce que les Hindous et les Égyptiens eussent séparément adopté, comme symbole du soleil, la fleur du lotus, qui, chaque matin, s’ouvre sous les premiers rayons de l’astre pour se refermer à l’approche du soir, et qui semble naître d’elle-même à la surface des eaux tranquilles. Mais l’hypothèse d’un emprunt devient bien plus probable, lorsque, dans l’iconographie des deux peuples, nous voyons cette fleur à la fois servir de support aux dieux solaires, comme Horus ou Vishnou, et figurer dans la main des déesses associées à ces dieux, comme Hathor ou Lakshmi, — les Vénus respectives de l’Égypte et de l’Inde. — Enfin, cette probabilité se change en quasi-certitude, quand, des deux côtés, nous trouvons

  1. M. de Longpérier fait observer que, par une section pratiquée à la base d’une tige de fougère, on obtient la figure d’un aigle à deux têtes. Or la fougère s’appelait en grec πτέρις (pteris) comme la province asiatique où se rencontrent les représentations sculptées de l’oiseau bicéphale. Le savant archéologue demande si ce ne serait pas cette similitude qui aurait fait choisir l’aigle à deux têtes comme emblème de la Ptérie. Mais on sait aujourd’hui que les bas-reliefs d’Euiuk et de Jasilikaïa sont fort antérieurs à l’entrée en scène des Grecs. Tout au plus serait-il admissible que la ressemblance du symbole hettéen avec la figure tirée de la fougère aurait amené les Grecs à nommer le pays d’après cette plante.