Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/532

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque, après l’attentat d’Orsini, on reproduisit dans le Moniteur universel, alors journal officiel de l’empire, des adresses intempestives qui auraient dû être mises au carton et ne jamais être livrées à la publicité ; dans aucune circonstance, en un mot, ce que l’on pourrait justement appeler leur double patriotisme ne fut en défaillance. Ce sentiment fut l’âme de leur vie, le guide de leur conduite, et reçut la plus haute récompense, pendant la guerre de Crimée, lors de cette alliance intime qui permit à la France, combattant à Inkermann et enlevant d’assaut la tour Malakoff, de prendre une chevaleresque revanche de Waterloo.

Propriétaires, inspirateurs d’un journal dont l’opinion fut souvent consultée, les frères Galignani exploitaient, en outre, une librairie qui centralisait les principaux ouvrages publiés par les éditeurs anglais. Il faut croire que cette double opération, à la fois politique et commerciale, était menée avec intelligence, car elle apporta à ceux qui la dirigeaient une fortune sérieuse, où la bienfaisance et la générosité ont puisé à pleines mains sans la tarir. Les deux frères étaient devenus Français, non pas seulement en vertu des lettres de naturalisation accordées avec empressement à l’un d’eux, mais par goût, par pénétration des mœurs, par infiltration des habitudes et surtout par tendresse pour une nation douée, malgré ses défauts superficiels, de vertus supérieures qui l’ont aidée, en plus d’une occurrence néfaste, à faire preuve d’une vitalité dont ses adversaires ont été stupéfaits. Donc, ils aimaient la France et ils le lui ont prouvé, car c’est à elle qu’ils ont légué l’héritage de bonté prévoyante qu’ils laissaient derrière eux. Ils habitaient avec prédilection, depuis 1827, une maison de campagne à Étioles, dont William était maire ; aussi, dans ses dispositions suprêmes, celui-ci n’oublia pas le pays où il avait passé d’heureuses années ; la commune de Corbeil en sut quelque chose et ne s’est point montrée ingrate, car on peut voir, auprès de l’hôtel de ville, se dresser la statue des frères Galignani dans un square auquel on a donné leur nom. Ce monument commémoratif, témoignage d’une reconnaissance justifiée, a été élevé par la seule initiative privée et est le produit d’une souscription publique : hommage touchant d’une population qui avait apprécié le grand cœur de deux hommes de bien. La double image en marbre, due au ciseau de M. Chapu, s’élève au-dessus d’un piédestal chargé d’une inscription qui, toute brève qu’elle est, raconte une existence enviable et n’énumère que de bonnes œuvres : « A Antoine et William Galignani, la ville et l’arrondissement de Corbeil reconnaissans. — 1886, hôpital ; hospice Galignani. — 1875, écoles de filles et asiles. — 1877, orphelinat. — 1873-1883, legs aux établissemens hospitaliers. »