Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les républicains des Provinces-Unies. C’était non avec des politesses, mais par la menace, la force et de haute lutte qu’on pouvait, suivant lui, réduire ces bourgeois hargneux et timides à capituler. Tel était le thème qu’il soutenait dans des altercations assez vives avec son ministre, et qu’il prenait pour règle de conduite dans les négociations avec les agens hollandais, auxquelles il avait bien fallu le mêler, ne fût-ce que pour lui faire tenir la plume. Il s’y montrait raide, difficultueux, n’hésitant pas même à rayer au besoin certains articles que le ministre aurait souscrits et qu’il trouvait contraires à l’honneur du roi. Sorti de là, il ne se gênait pas pour donner, par des indiscrétions dédaigneuses, matière aux railleries des frondeurs de Versailles et de Paris et tourner en ridicule l’étrange attitude qu’on laissait prendre aux agens hollandais en les traînant à la suite de la cour pour suivre des négociations qui ne finissaient pas.

Fatigué de cette opposition qui, partant de son intérieur, faisait comme un bourdonnement importun à ses oreilles, d’Argenson eut la pensée de dépêcher lui-même à La Haye un agent secret chargé de vérifier si, comme l’affirmait toujours La Ville, le parti pacifique de Hollande nous leurrait de promesses aussi peu sincères que peu efficaces. Il ne se vante pas, dans ses mémoires, du choix qu’il fit pour cette mission délicate. Le marquis de Puisieulx (c’était le nom de l’envoyé désigné) appartenait bien à une de ces familles de secrétaires d’état où les traditions politiques et administratives étaient héréditaires, car il était petit-neveu de Brulart de Sillery, le chancelier d’Henri IV ; mais il était dénué (c’est d’Argenson qui l’affirme) de tout mérite personnel. Pendant trois ans qu’il avait occupé le poste d’ambassadeur à Naples, il n’avait fait preuve d’aucun talent : « nul génie, des idées communes, » tout au plus « un extérieur de sagesse et de réserve » qui dissimulait la médiocrité. Ce qui décida d’Argenson à jeter les yeux sur un sujet de si peu de valeur, c’est (il en convient lui-même) que Puisieulx, revenu de Naples, assez mal dans ses affaires, s’était en quelque sorte mis à sa discrétion, suppliant d’être replacé, mais ne voulant l’être que par un chef digne de son estime. — « C’est à cause de moi, disait-il, à cause du respect qu’il me portait, qu’il voulait servir, et non sous tout autre ministre… Je trouvais à cet homme assez de sagesse pour penser qu’il ne gâterait rien à une ambassade aisée, et surtout qu’il y apporterait de la docilité. »

Le roi, à qui il fallut bien en parler, ne fut pas, malgré son goût pour les opérations secrètes, aussi aisément persuadé que la mission fût aisée, ni qu’il suffît de la docilité pour la remplir. Il faisait peu de cas de l’homme et espérait peu de l’affaire. — « J’obtins cependant que ma proposition fût exécutée. » — Quand on