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d’habitude et manieurs de brosse expérimentés, en ont fait, ces années dernières, la rude épreuve ; un dos de femme ne se fripe pas comme sa robe de velours ou de satin, un torse de paysan ne se maçonne pas comme sa blouse : qu’ils le demandent à Rubens et à Jordaens, ces joyeux pétrisseurs de chair humaine, mais de chair pulpeuse, sanguine, vivante ! « La même mésaventure est arrivée à M. Fourié : ses corps nus sonnent le vide et le creux ; le soleil ne se contente pas de les échauffer, il les dévore. Est-ce à dire que l’ouvrage soit sans talent, qu’il marque un recul dans la marche de M. Fourié, ou qu’il doive engager l’artiste à ne pas poursuivre ce genre d’études ? Nullement. M. Fourié, au contraire, nous montre là que son premier succès n’est pas dû à un hasard. Ces nudités sont bien groupées, animées, ardentes, quelques-unes, dans leurs attitudes téméraires, indiquées avec justesse et avec ampleur ; la lumière qui les inonde leur est distribuée avec une science assez remarquable, mais tout reste à l’état sommaire : aucune figure solide, aucun modelé profond. Au lieu d’une œuvre, c’est une ébauche ; il en est ainsi de presque tous les ouvrages des jeunes gens. Or, quand un peintre, comme un rimeur, s’accoutume à improviser dans sa jeunesse, il ne peut qu’improviser toute sa vie ; il ne sera jamais ni un poète ni un artiste.

Deux grandes toiles, médiocrement placées, où l’on remarque une recherche assez sérieuse et souvent heureuse des formes en mouvement, sont dues à des étrangers. M. Van Biesbroeck, un Belge, réunit, autour d’Orphée, dans le Lancement du navire Argo, un grand nombre de Grecs nus, dont les uns enlèvent à la fameuse nef ses dernières entraves, tandis que les autres la poussent à la mer. Ce n’est pas sans doute une bande de matelots aussi gais que les canotiers et les canotières à Bougival ; la couleur de M. Van Biesbroeck est triste, et son procédé monotone. Néanmoins, il y a beaucoup de science et d’habileté dans la façon dont l’artiste a su varier ses attitudes et ses mouvemens, en trouver de nouveaux et de justes, mener à bout l’exécution de toutes ces académies. Quant à M. Checa, l’Espagnol, c’est un débutant assez jeune, si nous en jugeons par certaines inexpériences et incorrections de sa brosse. Il obtient pourtant, — et légitimement, — un des grands succès du Salon. Pourquoi ? Simplement parce que, dans sa Course de chars romains, il a tenté de mettre, il a mis un peu de ce que le public aime et désire, de ce que lui donnèrent si largement Gros et Géricault, Delacroix et Horace Vernet, de ce que lui refusent si obstinément nos décorateurs anémiques, le mouvement. La main de M. Checa n’est pas encore sûre, nous l’avons dit, tant s’en faut ! On constate bien des incertitudes de dessin et de rendu dans ses