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mouvement socialiste depuis dix ou huit mois, mode littéraire, mode élégante. Quelques jeunes esprits, trouvant que les temps sont lourds et cette fin de siècle ennuyeuse, demandent au socialisme des émotions nouvelles et une distraction pour leur « moi. » C’est en qualité de décadens qu’ils sont socialistes, comme ils auraient été autrefois romantiques, comme le seraient sans doute aujourd’hui Werther ou René. « Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie. » Moins épris de la mort, nos socialistes de lettres se bornent à souhaiter que par une délicieuse après-midi l’imprévu pénètre un jour par les fenêtres du Palais Bourbon. C’est-à-dire, en bon français, qu’ils provoquent le peuple à l’émeute en lui promettant le socialisme comme récompense. Ce sont là des jeux coupables que la fantaisie et le talent littéraire ne suffisent point à excuser. Quant à nos socialistes de salon, il ne faut vraiment point se montrer trop sévère à leur endroit. Les jeunes gens ont de tout temps aimé à faire parler d’eux. Quelques-uns ont trouvé que le moyen le plus simple était de parler eux-mêmes en se déclarant socialistes. C’est une mode après tout plus charitable que de s’armer de cannes plombées, comme autrefois la jeunesse dorée, pour rosser les jacobins. Il n’y a pas à s’en inquiéter. Elle passera comme celle du tennis et du polo, peut-être même auparavant.


II

Puisque la liberté a manqué à ses promesses, puisque la souffrance humaine, loin de décroître, est devenue plus intense ou plus difficile à supporter, puisque le remède s’est trouvé sans force et le principe sans vertu, il est naturel de se détourner de la liberté pour s’adresser à son contraire et de demander à la réglementation ce que la liberté n’a pu donner. C’est la tendance commune à tous les néo-socialistes parmi lesquels il y a beaucoup d’hommes de très bonne foi et de très haute valeur. L’esprit humain procède ainsi ; il obéit à la loi du flux et du reflux, corso et ricorso, disait Vico, et nulle part ces mouvemens ne sont aussi sensibles qu’en France. Nulle part, en effet, sauf peut-être en Angleterre, le principe de la liberté du travail n’avait été proclamé aussi haut. Aujourd’hui ce principe est publiquement battu en brèche et si certains états de l’Europe ont devancé la France dans la voie des restrictions à la liberté, il semble que la France ait hâte de regagner la distance. Les projets abondent en ce sens. La seule difficulté est de se reconnaître dans leur multiplicité.