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En troisième lieu, il y avait les résistances armées des tribus montagnardes, des peuplades éloignées, chez lesquelles il n’était point prudent aux percepteurs de taxes illégales et aux agens du despotisme de trop se hasarder.

Enfin, il y avait à Constantinople une opinion publique. Même dans les temps calmes, où le peuple n’était pas en humeur de révolutions, elle savait se faire entendre. Par une sourde agitation, des rumeurs, même des clameurs (kataboéseis), elle forçait un Michel III à se donner pour collègue Basile Ier. Le plus souvent elle se manifestait par des mots piquans, des épigrammes qui couraient la ville. On en affichait sur le socle des statues : ainsi dans la Rome des papes sur le piédestal de Pasquino. Quand Michel Stratiotique entreprit de faire revenir les modes de sa jeunesse, comme il était en même temps un grand bâtisseur, il ne pouvait remuer une pierre dans Byzance sans qu’on racontât qu’étant enfant il avait en jouant perdu un osselet et que c’était pour le retrouver qu’il bouleversait les pavés. Le peuple donnait des sobriquets parfois peu aimables à ses maîtres : Constantin Copronyme (parce qu’il avait souillé les fonts baptismaux), Michel le Calfat, Michel l’Ivrogne. Quand Alexis Comnène fut battu par Robert Guiscard, sa fille nous apprend qu’il fut chansonné dans toute la ville ; partout on répétait le mot de son ennemi : « Je l’ai amené dans la gueule du lion. » — Quand la goutte empêchait ce même Alexis de marcher contre les Turcs, dans tous les cabarets et dans tous les salons de la ville, on mettait la chose en comédie : les uns se déguisaient en médecins complaisans, d’autres en courtisans qui se confondaient en génuflexions, celui-ci en empereur qu’on portait doucement dans une litière, ceux-là en barbares qui, en son absence, faisaient le diable à quatre. Byzance avait sa comédie politique et ses soties comme l’Athènes d’Aristophane, comme le Paris des confrères de la Basoche. Même les libellistes ne respectaient pas ce que le bon Louis XII entendait qu’on respectât : « l’honneur des dames. » Que de chansons n’a-t-on pas faites contre Théodora, la femme de Justinien! L’écho en est venu jusqu’à M. Sardou.

Le prince était bien obligé de compter avec le peuple, avec la plèbe. S’il quittait sa capitale pour se rendre à l’armée, il faisait ses recommandations au préfet de la ville. Celui-ci devait : 1° s’assurer que le blé ne manquerait pas, car rien comme la disette ne dispose aux émeutes ; 2° surveiller ces nouvellistes qu’Anne Comnène nous représente, comme ceux de La Bruyère, discutant les plans de campagne, indiquant les manœuvres à faire contre l’ennemi, plaçant ici les auxiliaires dalmates et là les mercenaires albanais, bloquant les places et jetant des ponts sur les rivières; 3° punir