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et de cinq ou six autres anomalies. Le premier chapitre à faire, dans un ouvrage complet sur l’anthropologie criminelle, c’est une histoire des variations[1].

Il importe de signaler, en dehors de ces contradictions partielles, une contradiction d’ordre général et qui prend les proportions d’un schisme, parce qu’elle porte sur un principe fondamental du nouveau système. C’est la théorie de l’atavisme physique que M. Lombroso développe non-seulement dans la première édition de l’Uomo delinquente, mais encore en 1890, au premier chapitre de son dernier ouvrage, sous le titre « anomalies morphologiques. » Aux yeux du docteur Colajanni, cette thèse est une pure chimère, d’abord parce qu’elle suppose gratuitement l’existence d’un type physique propre aux délinquans, ensuite parce que, si ce type, constitué par l’assemblage de certaines déformations et de certains stigmates, existait réellement, tout porte à croire qu’il n’offrirait aucune similitude avec la structure et les traits de nos premiers parens. Ce n’est pas qu’il ne faille, d’après l’auteur de la Sociologie criminelle, remonter à l’âge de la pierre polie ou éclatée pour trouver l’explication unique de toute criminalité. Mais le spectre qu’on doit évoquer, c’est la monstruosité morale, non la monstruosité physique : le criminel est celui qui reproduit les difformités morales de nos ancêtres primitifs. La doctrine de l’atavisme moral est, à vrai dire, aussi conjecturale que l’autre. D’abord, certains anthropologues, comme M. Garotalo, soutiennent d’une façon plausible « qu’un caractère moral accentué dans le bien ou dans le mal ne persiste plus dans la même famille après la cinquième génération ; » ensuite, comme il n’est pas démontré que ces ancêtres, si préhistoriques qu’on les suppose, soient uniformément des échantillons de scélératesse, le prétendu délinquant né, s’il existe dans leurs rangs des hommes probes et justes, pourrait bien tenir des uns comme des autres : que dis-je ? tenant à la fois des uns et des autres, il serait peut-être à même d’opter ou, si l’on veut (faisons cette concession), de se persuader qu’il est libre d’opter entre ces deux types. Mais ce qu’il importe de constater, c’est que la base primitive de l’anthropologie criminelle est déplacée : sous le régime de l’atavisme moral, la question des circonvolutions cérébrales, la fameuse question de la fossette occipitale, perdent toute leur importance, et la science nouvelle est ébranlée dans ses fondemens.

Puis, pour dissiper la surprise que provoquent les résultats contradictoires des statistiques dressées par les anthropologues,

  1. Nous signalons particulièrement au lecteur, à ce point de vue, le récent ouvrage du professeur G. Vidal.