dans leurs têtes, qu’elles ne s’y choquent pas aux idées et aux sentimens qui chez nous leur opposent un obstacle insurmontable et les rejettent hors du jeu régulier de l’intelligence, que tous s’inclinent journellement devant le Lingam et le Yoni, les symboles mâles et femelles de la reproduction, bref, qu’entre le saktiste et l’Hindou ordinaire, il n’y a pas une différence d’espèce, mais de degré, et que dans toute la race on rencontre les germes des maladies intellectuelles et morales qui chez quelques sectes semblent chroniques et développées volontairement.
Voilà des âmes étrangement constituées, troublées, perverties, viciées dès leur naissance. Dans ces âmes viennent encore tomber au hasard et à foison des idées générales de toute provenance comme des semences morbides dans un organisme déjà malsain. Des milliers de jeunes Hindous se préparent aux examens qui leur ouvriront les carrières de l’État et peuplent les nombreuses universités de l’Inde. Beaucoup y étudient le sanscrit, le persan, l’arabe, les vieilles philosophies asiatiques, deux ou trois littératures. Tous se pénètrent des idées anglaises qui flottent partout autour d’eux. Dans les hautes classes, leurs professeurs sont anglais. Dès les basses classes, Addison et Macaulay ont été leurs classiques. Plus tard ils abordent les philosophes, Hamilton ou Spencer. Ils lisent des revues et des journaux anglais ; ils y rencontrent des études littéraires, politiques, des faits-divers, des statistiques, des comptes-rendus de toute espèce qui décrivent dans le détail, découpent, classent, cataloguent, les innombrables portions de la vie publique, intellectuelle ou morale, artistique ou religieuse, mondaine ou commerciale de l’Angleterre. Le roman leur présente tous les types anglais, ouvriers, clergymen, matelots, jeunes filles, squires, commerçans, et sous cette diversité une conception de la vie, de la religion, du devoir, de l’amour, de la mort, qui n’est pas d’une autre race, mais d’une autre humanité. Non-seulement ils se nourrissent d’idées étrangères, mais ils vivent de la vie d’une âme étrangère qui sent, veut, pense d’une façon opposée à la leur. Inquiétante opération que cette infusion d’un autre sang, et qui peut aboutir, comme les croisemens entre espèces animales très éloignées, à des avortemens, à des monstruosités qui ne sont pas viables.
Ce matin, au bord de la rivière, ces pensées me traversaient l’esprit tandis que j’échangeais quelques mots avec un jeune brahme dont la physionomie intelligente et douce m’avait beaucoup frappé. Ce garçon est élève d’une école anglaise de Bénarès et compte suivre les cours de l’université d’Allahabad pour parvenir au civil-service. Il a lu Addison, il étudiera les Upanishads. En attendant, il s’apprête à passer des examens de mathématiques; il discute la