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par un double vitrage de 75 mètres de surface ; on a ménagé entre les deux glaces une couche d’air qui s’oppose à une trop grande déperdition de froid et au dépôt de givre qui masquerait complètement l’intérieur de la salle aux yeux du public. Toutes les autres parois sont recouvertes d’un doublage en sapin, isolé des murs par une épaisse couche de paille ; enfin la fermeture hermétique, tant de la salle que des alvéoles, est assurée par des précautions spéciales.

Nous avons dit combien la Morgue a gagné à l’installation de l’appareil frigorifique ; on a vite fait d’en signaler les petits inconvéniens : c’est d’abord le danger qui résulte pour les garçons de service du brusque passage de la température extérieure à celle de la glacière.

On leur avait imaginé au début un costume des plus bizarres, composé d’un pantalon de flanelle, d’une veste de peau de mouton et du bonnet de laine dit « passe-montagne ». C’est ainsi affublés qu’ils circulaient, à la grande joie du public; mais le costume n’a pas prévalu : il suffit de quelques précautions élémentaires et d’un peu d’accoutumance pour circuler sans danger dans la glacière. Les garçons morgueurs ont, du reste, une petite hygiène à eux dans laquelle nous n’avons rien à voir.

Un autre inconvénient de l’appareil et du procédé même qu’on a adopté provient de la congélation des sujets transformés en un bloc de glace, dont il n’y a rien à faire au point de vue médico-légal. L’autopsie demande un dégel préalable, qu’on obtient d’ailleurs facilement au moyen d’une étuve métallique chauffée par le gaz.. Comme on est obligé d’élever la température avec ménagemens l’opération dure de deux à trois heures au minimum ; mais on arrive du moins, après tant de travail, à ce résultat précieux, que le cadavre peut être mis sur la table d’autopsie et présenté au médecin, au magistrat ou à messieurs les assassins dans l’état même où il se trouvait à son entrée et quelle qu’ait été la durée de son séjour à la Morgue.

Car il n’est pas au bout de ses aventures, le pauvre cadavre ! Nous l’avons vu amener sous le hangar, nous l’avons vu fouiller, dévêtir, retourner dans tous les sens; on l’a charrié sur sa table roulante dans tous les recoins de la salle, on l’a congelé, on le dégèle, et voilà que la justice ou la science, quelquefois toutes les deux, le réclament encore. Après tant de tribulations, il aura bien mérité quelques pelletées de terre et le repos éternel.