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quelque chose de la fierté de ses libres prédécesseurs survivait en lui. Il écrivit au roi, sur un ton doux, afin de se plaindre d’un procédé précipité, outrageant pour l’Eglise romaine. De longs pourparlers suivirent entre le pape et le roi, en vue d’arriver à un compromis qui satisfît l’avidité de l’un et les susceptibilités de l’autre. Rien de plus fastidieux que ce jeu diplomatique. Il eut des reviremens brusques. En novembre 1307, Clément V parut apaisé ; sa bulle Pastoralis preeminentiœ, adressée à tous les rois de l’Europe, vante le zèle de Philippe, rapporte les aveux du chef de l’ordre, ordonne aux princes temporels de saisir les templiers Je leurs états et de les tenir sous la main de saint Pierre. En 1308, tout est changé; le pape condamne la conduite des inquisiteurs et des prélats de France, les suspend de leurs fonctions, et évoque à lui toute l’affaire. L’ordre était peut-être sauvé, si Clément, chef de l’Église, avait persisté dans cette conduite virile, mais Philippe le Bel le comprit, et Nogaret greffa aussitôt une campagne contre le pape à sa campagne contre le Temple. Il parut évident que, pour réduire le Temple, il fallait réduire d’abord Clément ; et les pamphlétaires qui avaient jadis mordu la papauté sous Boniface furent découplés de nouveau.

La campagne de presse qui fut alors dirigée contre Clément est une des plus furieuses qu’on ait jamais vues. « Que le pape prenne garde, écrivait Dubois, il est simoniaque, il donne, par affection de sang, les bénéfices de la sainte église de Dieu à ses proches parens. Il est pire que Boniface, qui n’a pas commis autant de passe-droits. Cela doit lui suffire; qu’il ne vende pas la justice. On pourrait croire que c’est à prix d’or qu’il protège les templiers, coupables et confès, contre le zèle catholique du roi de France. Moïse, l’ami de Dieu, nous a enseigné la conduite qu’il faut tenir vis-à-vis des templiers, quand il a dit : que chacun prenne son glaive et tue son plus proche voisin. Moïse a fait mettre à mort, pour l’exemple d’Israël, vingt-deux mille personnes sans avoir demandé la permission de son frère Aaron, que Dieu avait établi grand-prêtre. » Le peuple était échauffé par ces déclamations quand il fut appelé à désigner des délégués à une réunion d’Etats ; la lettre de convocation, rédigée dans le style pompeux, est encore une production de Nogaret. Il y est dit que le roi est l’ennemi né des hérésies, le défenseur de « cet incomparable trésor, la très précieuse perle de la foi catholique. » On rappelle les abominables erreurs du Temple : « le ciel et la terre sont agites par le souffle d’un si grand crime. » C’est au peuple de France qu’il appartient d’en purger le monde. « Contre une peste si scélérate doivent se lever les lois et les armes, les animaux même et les