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Voilà bien des critiques, n’est-ce pas; mais critiques de détail, de métier aussi, qui laissent debout la pièce sympathique, intéressante, émouvante de M. Daudet. Un souffle de tendresse, de jeunesse et de passion l’anime tout entière et quelquefois, au second acte par exemple, la porte sur les sommets. Quand cette écervelée d’Estelle, qui n’est pas méchante au fond, dit naïvement à Didier, qu’elle vient de frapper au cœur : « Je vous ai fait de la peine, » avec quelle indignation et quelle éloquence le jeune homme se récrie devant ce pauvre petit mot appliqué à son immense douleur! Mais surtout, après la fuite de la vieille fille, épouvantée d’avoir déchaîné cet orage, entre la mère et le fils quelle scène magnifique s’engage! Didier interroge la marquise; il la presse de lui avouer quelle honte, quelle malédiction pèse sur eux. «Mon père? demande-t-il avec angoisse. — Ton père était un honnête homme, je le jure. » Et au cri de soulagement que pousse l’enfant, la mère répond, ou plutôt elle se répond à elle-même, à elle seule, par cet adorable cri de fierté et de reconnaissance maternelle : « Il ne m’a rien demandé, à moi! Pas même effleurée d’un soupçon. » Le mot, d’un seul éclair, illumine ces deux âmes aussi pures l’une que l’autre. Toute la scène d’ailleurs est à la même hauteur, et l’on voudrait pouvoir la citer en entier. Retenons-en un mot encore, aussi délicat que l’autre est éclatant. Au bas de sa photographie, donnée à son fiancé, Madeleine avait écrit : « A Didier, pour la vie. » De ce portrait qu’on vient lui reprendre, le pauvre garçon invoque désespérément le témoignage, qu’il ne peut croire menteur; il en relit la dédicace, et comme s’il ne suffisait pas de ses yeux obscurcis par les larmes pour rassurer son angoisse d’amour : « Lis maintenant, dit-il à sa mère, lis tout haut pour que j’entende. »

Voilà les scènes capitales de l’Obstacle; voilà par quelles beautés tour à tour délicates et puissantes, jamais vulgaires et toujours honnêtes, l’œuvre, qui peut ne pas être d’un dramaturge consommé, est encore du grand poète, du grand artiste et du grand écrivain que vous savez. Ah ! Petit Chose, Petit Chose, depuis votre enfance exquise, bien des sentimens, bien des passions ont traversé votre âme. Vous avez connu l’ironie, la malice, l’amertume parfois et peut-être la haine. Mais vous avez vieilli, souffert, et la souffrance et l’âge ont désarmé vos rigueurs et mouillé de larmes tous vos sourires. Au lieu de railler, vous compatissez maintenant; vous écoutez de nouveau, comme dit le rêveur allemand, chanter l’oiseau de vos jeunes années; vous avez retrouvé votre tendresse première, votre cœur d’autrefois, votre cœur pitoyable et bon, celui dont vous chérissiez jadis Désirée Delobelle, le pauvre Jack, le petit roi Madou, enfin et surtout peut-être la vieille maman Jansoulet. Plus encore que des autres femmes, vous serez aimé de toutes les mères, parce que nul ne les a aimées comme vous.

Le fait est qu’elle hantait notre mémoire, tandis que nous écoutions