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l’hostilité de la Russie, M. de Bismarck s’en empara. On sait comment il l’a résolue. C’est une histoire à la fois bien étrange et peu édifiante que celle des négociations qui ont précédé la conquête des provinces de l’Elbe. Elle a été écrite[1] et elle mérite d’être méditée par quiconque désire apprendre comment s’accomplissent les destinées des peuples. On y voit M. de Bismarck préluder à son œuvre avec toutes les audaces d’un homme d’état sans faiblesses. Nous n’en retiendrons ici que ce qu’il importe de démontrer.

La Russie, reconnaissante du secours que la Prusse lui prêtait militairement et diplomatiquement[2] en Pologne, pendant que l’Angleterre, la France et l’Autriche cherchaient à se concerter, vainement d’ailleurs, pour entraver sa liberté, se prêta à toutes les convoitises du cabinet de Berlin. Pour lui complaire, elle oublia les droits éventuels de la maison des Romanof, naguère revendiqués si hautement par l’empereur Nicolas. Elle ne s’en tint pas à l’abstention ; elle seconda toutes les prétentions que la Prusse mit en avant pour occuper d’abord le Holstein, pour envahir ensuite le Schleswig, neutralisant ainsi l’action des cabinets de Paris et de Londres dans la défense du Danemark. Ces faits sont désormais acquis à l’histoire, et ils démontrent que le roi Guillaume a dû au bon vouloir du cabinet de Saint-Pétersbourg les premiers succès de ses armes et de sa diplomatie. L’Angleterre et la France avaient le devoir de rappeler la cour de Berlin au respect du traité de Londres ; la Russie s’y était également engagée. Les trois puissances y avaient le même intérêt. Leur union, une entente loyale, eût suffi pour arrêter dans son essor l’ambition de la Prusse. Mais les cabinets de Paris et de Londres ne réussirent pas à concerter leurs efforts, à adopter une politique commune, séparés qu’ils étaient par des dissentimens nés de la guerre d’Italie et par la réunion de la Savoie et de Nice à la France. La Russie, de son côté, séduite par des assurances fallacieuses, entraînée par les ressentimens qu’elle nourrissait contre l’Autriche, offensée par les

  1. Études de diplomatie contemporaine, par M. L. Klaczko ; Fume, Jouvet et C°.
  2. Au mois d’octobre 1863, le gouvernement anglais résolut de déclarer la Russie déchue de ses droits sur la Pologne, droits qui lui avaient été concédés en 1815 à des conditions, prétendait-il, qu’elle avait cessé de remplir. Le cabinet de Berlin s’interposa et lui fit représenter par son ambassadeur à Londres que, s’il désirait le maintien de la paix européenne, il devait renoncer à une détermination qui, attribuant implicitement à la Pologne la qualité d’état belligérant, devait être considérée par le gouvernement du roi comme attentatoire aux droits de la Prusse. » C’était poser le casus belli. Le courrier porteur de la notification de l’Angleterre était en route pour Saint-Pétersbourg. Lord John Russell le rappela par le télégraphe.