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troupes fidèles sont restées maîtresses du terrain ; l’insurrection a été dispersée, chassée de l’hôtel de ville, où elle avait trouvé un dernier refuge, et la paix a été rendue à la cité, un instant troublée. On a eu raison de l’émeute soldatesque de Porto. Le fait n’existe pas moins, et sans vouloir rien exagérer, on pourrait se demander si ce mouvement qui, après tout, a avorté, était un mouvement isolé, s’il n’avait pas des ramifications dans d’autres villes, si, en se prolongeant de quelques heures, il n’aurait pas trouvé de l’écho jusqu’à Lisbonne. Le gouvernement lui-même a eu visiblement quelque soupçon, puisqu’il ne s’est pas borné à une répression ordinaire, au jugement des insurgés qu’il a pu prendre ; il s’est hâté, de plus, de se mettre en défense par des arrestations préventives, par la suspension de la liberté de la presse, par la suppression des journaux républicains, étendant ces mesures de sûreté à tout le royaume. C’était peut-être de la prudence : c’est aussi la preuve qu’on a été singulièrement ému à Lisbonne.

Qu’en faut-il penser réellement ? Ce n’est point sans doute par elle-même que cette échauffourée de Porto a pu être un danger, puisque la répression a été complète et décisive sur l’heure, avant même que le gouvernement ait eu le temps de prendre des mesures exceptionnelles. Elle n’a évidemment de gravité que parce qu’elle se lie à une situation troublée, parce qu’elle est un mauvais symptôme. Au fond, c’est de cela qu’il s’agit. Que ce mouvement, dans ses apparences, dans son explosion immédiate, n’ait été, comme on l’a dit, que la mutinerie de sous-officiers mécontens de leur sort et aspirant à être officiers, cela se peut. Il n’a été dans tous les cas possible et il ne s’est produit sous le drapeau de la république que parce que les circonstances ont créé dans le petit royaume un assez dangereux état moral, parce que les surexcitations, l’indiscipline, les propagandes révolutionnaires ont pénétré partout, jusque dans l’armée. Il est certain que, sans être nombreux en Portugal, les républicains s’agitent singulièrement depuis quelque temps. Ils ont leurs associations, leurs journaux, leurs réunions, leurs affiliations secrètes, et ils se livrent aux plus étranges violences contre le gouvernement, contre la monarchie, contre le roi. Les républicains portugais ont été sans doute encouragés et excités par le succès de la révolution brésilienne. Ils ont été exaltés par cet exemple de la république au Brésil ; mais ce qui les a surtout servis dans leur agitation et dans leurs propagandes, c’est cette malencontreuse affaire avec l’Angleterre, qui a si vivement blessé le patriotisme portugais, qui a déjà provoqué la chute d’un ministère à Lisbonne et est loin d’être finie. Les républicains se sont hâtés d’exploiter sans mesure ce cruel incident, de profiter de l’émotion publique, en irritant autant qu’ils l’ont pu le sentiment national, en représentant roi et ministres comme prêts à livrer l’honneur du pays.

C’est là le danger et il risque de subsister tant que cet incident