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des armées françaises, au grand détriment de la cause commune et sous les yeux du roi, qui les laissait se quereller sans y mettre ordre. Il y eut désormais ouvertement deux partis à la cour et à l’armée : celui du ministre et celui du général. Leurs dispositions réciproques sont assez bien exprimées par une lettre du comte d’Argenson lui-même, où il essaie de faire la part des responsabilités dans la circonstance même qui faisait le sujet principal et la gravité de leur débat : — « En ce qui concerne l’occasion, la détermination et la suite de cette bataille, je n’y prétends rien que d’avoir été le témoin de la conduite du roi, qui a été admirable en tout point : l’intelligence, l’esprit, la fermeté, le coup d’œil, la justesse du raisonnement. Mais quant à la détermination et aux ordres, soyez sûr que le maréchal a tout conduit, que, depuis que le roi est arrivé à l’armée, il n’a pas été plus gêné dans ses opérations que s’il avait été seul. L’inaction de l’armée pendant quelque temps a pu donner lieu à ceux qui sont à portée de dire leur avis, de marquer l’impatience où ils étaient qu’on en sortît. Mais pour ce qui est des moyens et de la nature des opérations, elles ont toutes été au choix et à la volonté du maréchal de Saxe[1].

Dans cette controverse, qui devint bientôt très vive et dont le bruit ne tarda pas à se répandre, Maurice eut le bonheur de rencontrer un défenseur dont l’approbation pouvait le consoler même du mécontentement de son supérieur. Ce n’était autre que Frédéric lui-même, à qui il avait coutume, comme on sait, de rendre compte de toutes ses opérations, et qui témoignait autant d’estime, je dirais volontiers autant de coquetterie au héros saxon qu’il était généralement prodigue de mépris et même de paroles blessantes pour les généraux et les politiques français. Dans cette circonstance Frédéric, pour connaître et apprécier la nouvelle victoire, n’avait

  1. Le comte d’Argenson à Belle-Isle, 20 juillet 1747. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.) — Cette lettre était adressée à Belle-Isle, qui, la recevant peu de jours après la mort de son frère, dut avoir à peine la force de la lire jusqu’au bout. — Souvenirs de Valfons, p. 220-221. — Journal de Barbier, juillet 1747. — Journal et Mémoires du marquis d’Argenson, t. V, p. 8 à 86. C’est dans ce dernier récit que l’hostilité de tout un parti de la cour et de l’armée contre le maréchal de Saxe est rapportée avec le plus de détails; mais plusieurs de ces détails ne méritent pas qu’on y ajoute foi. On y voit trop à découvert l’effet de l’humeur chagrine à laquelle le marquis était livré depuis sa sortie du ministère, et qui n’épargnait personne, pas plus son frère qu’aucun autre, peut-être même moins, parce qu’il ne pouvait lui pardonner de n’avoir pas partagé sa disgrâce. Des faits qu’il raconte sont contredits par tous les témoignages : ainsi, il suppose que c’est au roi lui-même, et tout de suite après la bataille, que le maréchal de Saxe s’est plaint d’avoir été forcé à se battre, tandis qu’il est certain que, le premier jour, il n’y eut entre le roi et lui que des échanges de félicitations.