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pas eu à attendre son rapport. Le hasard amenait au camp, le lendemain de la bataille, un de ses chambellans favoris, le marquis d’Argens, ce Français, émigré volontaire, que j’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion de nommer. Frédéric, en le laissant partir, l’avait chargé de la double commission d’offrir au roi de France une magnifique paire de chevaux de Mecklembourg et de recruter dans les théâtres de Paris des acteurs et des danseuses pour la scène de Berlin : et il venait tout à la fois présenter à Louis XV le cadeau de son maître et commencer sa recherche par la troupe de Favart (que par parenthèse il trouva très médiocrement composée). L’occasion était belle, en envoyant des remercîmens pour les chevaux, d’annoncer l’heureux succès du jour. Puisieulx n’eut garde de la manquer, et dès le 3 juillet, il écrivait à Valori : « Sa Majesté se flatte que cette glorieuse journée n’affligera pas le roi de Prusse. Je voudrais que ce grand prince, qui est connaisseur, eût vu par lui-même la présence d’esprit et le sang-froid avec lequel le roi a donné des ordres dans des momens assez critiques[1]. »

Effectivement Frédéric, qui autrefois, on l’a vu, n’avait pas applaudi sans réserve à la victoire de Fontenoy, s’exprima cette fois avec une satisfaction dont la vivacité parut sincère. « Il n’appartient qu’à Votre Majesté, répondit-il, de faire de grandes choses et de les surpasser même par sa modestie. La bataille du 2 de ce mois aura sans doute appris à M. de Cumberland à distinguer la témérité de l’audace. Les troupes de Votre Majesté seront invincibles autant (sic) qu’elles combattent sous vos yeux et qu’elles seront menées par d’aussi habiles généraux que ceux qui les commandent à présent... Les officiers que j’ai dans l’armée de Votre Majesté ne cessent de chanter des hymnes à sa louange : ils rendent bien justice aux talens supérieurs du maréchal de Saxe et à la valeur des troupes, et ils jouissent d’un avantage plus grand encore et que je leur envie beaucoup, qui est celui d’entendre et d’admirer Votre Majesté. Si mes applaudissemens et mes suffrages peuvent être comptés pour quelque chose dans ce concert universel des louanges de toute l’Europe, je prie Votre Majesté d’être persuadée qu’ils partent d’une source bien pure, qu’ils ne sont altérés par aucun mélange d’envie et que je m’intéresse vivement à sa gloire[2]. »

Sous cet enthousiasme complaisant, quelque ironie secrète était-elle encore cachée? et pendant que la bouche par le avec emphase, surprendra-t-on un sourire déguisé aux coins des lèvres? C’est possible ;

  1. D’Argenson à Frédéric, 1er juillet 1747. (Correspondance générale de Frédéric.) — Puisieulx à Valori,.3 juillet 1747. — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Frédéric à Louis XV, 17 juillet 1747. — Pol. Corr., t. V, p. 436.