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fond, la loi est la même. Une fois que la vie de l’espèce a été assurée par la fécondation et la reproduction, les parens vieillissent : ils ont achevé leur tâche, et bientôt ils succombent, laissant les jeunes recommencer.

Il y a vraiment comme une certaine hâte de la nature à faire disparaître les individus quand la reproduction est terminée. Place aux jeunes! Telle est la loi de la nature. C’est comme une course précipitée vers un but que nous n’entrevoyons pas : puisque, en même temps que cette tendance à la vie de l’espèce, il y a tendance à la mort de l’individu[1].

Pouvons-nous voir au-delà? Savons-nous pourquoi il faut que la vie soit intense sur notre planète? pourquoi il doit y avoir des arbres, des insectes, des oiseaux, des hommes, en aussi grand nombre que possible? pouvons-nous supposer une raison d’être à ce développement que favorise une organisation prodigieusement savante et compliquée ? Hélas ! non! personne ne peut le dire. Nous assistons à des phénomènes qui nous paraissent révéler un immense effort vers un maximum de vie pour l’individu et pour l’espèce, mais nous ne connaissons rien de plus.

Cependant c’est déjà quelque chose que d’avoir démêlé, parmi les opérations de la Nature, cette tendance, aveugle et savante à la fois, au développement de la vie. Si nous ne savons pas pourquoi la Nature veut la vie, au moins nous savons qu’elle la veut, et qu’elle a trouvé moyen de l’assurer.


II.

La fonction de reproduction est donc aussi générale que la fonction de nutrition, et, comme la nutrition, elle peut se faire par la fatalité organique simple, elle peut être aidée par l’instinct, elle peut être aidée par l’intelligence.

Pour prendre une comparaison, voyons ce qui se passe pour la respiration. Tous les êtres respirent; mais il est des êtres dépourvus d’intelligence qui respirent mécaniquement, ou, si l’on veut, chimiquement, comme les champignons par exemple ou les microbes aérobies, qui consomment de l’oxygène sans en avoir la moindre conscience, et sans que la privation d’oxygène entraîne chez eux quelque sentiment de douleur.

  1. Un curieux exemple de cette hâte de la nature à faire disparaître les individus, quand la vie de l’espèce a été assurée, nous est fourni par certaines araignées dont tout le monde connaît sans doute la curieuse histoire. Le mâle, beaucoup plus petit et plus faible que la femelle, la surprend brusquement; mais, une fois qu’il a satisfait ses appétits amoureux, la femelle, étant fécondée, et, par conséquent, n’ayant plus besoin de lui, profite de sa force pour le dévorer sans autre forme de procès.