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de Noailles, ou à Maurice lui-même, que vint la pensée qu’on pourrait profiter du voisinage du roi de France et d’un fils du roi d’Angleterre pour tenter entre les deux princes, en dehors et par-dessus la tête des ministres et des cabinets, un essai direct d’accommodement? Si cette idée, assez originale, réussissait, ce serait une brusque surprise dont les deux souverains auraient tout l’honneur. Maurice se laissa charger d’en faire l’ouverture à Cumberland.

L’entrée en matière lui était facilitée par la position des deux camps, à portée, comme je l’ai dit, et presque en vue l’un de l’autre. Entre deux armées si rapprochées et qui ne veulent pas en venir immédiatement aux mains, il y a chaque jour des points de contact à régler et des différends à prévenir qui rendent les relations des commandans naturelles et même à peu près inévitables. Mais, pour entrer en rapport avec Cumberland (comme le roi le lui demandait), Maurice avait auprès de lui un intermédiaire tout trouvé, dans la personne de cet aide-de-camp favori du prince, sir John Ligonier, dont j’ai raconté la capture, faite sur le champ de bataille de Lawfeldt, dans d’assez singulières conditions. Admis par ordre de Louis XV au quartier-général de l’état-major royal, et traité avec la même distinction que les officiers du grade le plus élevé, Ligonier, très aimable compagnon d’ailleurs, devint bientôt un commensal d’autant plus apprécié qu’il parlait le français comme sa langue maternelle. C’était, aux repas pris en commun et dans les longues heures de loisir de la vie des camps, des conversations familières où Maurice put se livrer à des épanchemens d’une bonhomie affectée : « Voyez-vous, lui disait-il, le roi désire la paix, il vous l’a dit, et moi je la désire encore plus que lui. Pourquoi voudrais-je la continuation de la guerre? Je suis au comble des honneurs et n’ai plus de récompense à attendre : un échec au contraire pourrait me faire tout perdre. Je n’ai pas d’illusions à me faire. Je suis détesté ici : on me regarde comme un étranger ; on m’en veut d’avoir rétabli la discipline, j’ai autant d’ennemis qu’il y a de soldats ; et s’il m’arrivait malheur, le roi lui-même ne pourrait me défendre. Puis, je suis malade, ma constitution est brisée, il me faut la paix si je ne veux pas mourir à la peine. »

Comprenant à demi-mot ces confidences, Ligonier s’y prêta, y entra lui-même de si bonne grâce qu’il devint tout simple de lui proposer d’aller sur parole trouver Cumberland pour lui en faire part. Il ne fut chargé que d’un message verbal, Maurice se gardant bien de rien écrire. Mais ce fut l’Anglais lui-même qui, pour aider sa mémoire, voulut fixer par écrit les termes de sa commission, dont le résumé était à peu près celui-ci : « Que Sa Majesté très Chrétienne