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En même temps que la jalousie, l’ardeur belliqueuse se développe chez l’homme qui est amoureux. Les forces doublent, l’énergie s’accroît. Il ne craint plus les dangers, les obstacles, les fatigues. Plus d’appétit ni de sommeil ; toutes les passions s’éteignent à côté de la passion amoureuse qui l’a pris ; il ne songe plus qu’à la femme aimée.

Chez la femme, chez la jeune fille, au moment de l’adolescence, les idées prennent une direction qui est toujours la même : elles se tournent vers l’amour, comme l’aiguille aimantée vers le Nord. Quelle que soit leur position sociale, toutes les jeunes filles, belles ou laides, riches ou pauvres, ne demandent qu’à aimer. Mais, au lieu de cette exubérance de forces qui se manifeste chez l’adolescent, chez la jeune fille, c’est un indicible sentiment de langueur, une vague tristesse, avec rêveries, rires et larmes immodérés.

Avec l’âge, les sentimens amoureux deviennent différens, non peut-être chez l’homme qui est toujours, quand il aime, également jaloux et esclave de sa passion, mais chez la femme.

Si le sentiment maternel, ou les exigences de sa position sociale, ou les précoces débauches n’étouffent pas en elle les instincts de la nature-, elle éprouve, lorsqu’elle ressent l’amour, à peu près les mêmes ardeurs que l’homme, avec plus d’abnégation, un dédain plus grand de l’opinion publique, un désintéressement plus complet. La femme qui aime, — je parle de la femme qui connaît les plaisirs de l’amour, — n’a d’autre souci, d’autre adoration que celui qu’elle aime. Se perdre, se compromettre, se ruiner, cela ne lui coûte rien ; et même, les grands devoirs généraux, le sacrifice à la chose publique, à la patrie, à l’humanité, tout ce qu’un homme d’honneur n’abandonnera jamais à une femme, une femme n’en tiendra jamais compte si elle peut, aux dépens de ces idées abstraites, procurer quelque agrément à celui qu’elle aime.

Mais tout cela n’a qu’un temps, et un temps très court. Bientôt l’âge arrive; les rides, les cheveux blancs, les soucis ; et, en même temps, hélas! la triste incapacité d’être amoureux, follement, franchement, avec l’abandon absolu de soi, perdu dans sa passion comme au temps heureux de la jeunesse. Alors il ne faut pas se survivre à soi-même ; il ne faut pas revenir en arrière, sous peine de prêter à rire. Heureusement, presque toujours, les idées changent avec l’âge, et d’autres goûts ont remplacé les goûts amoureux de la jeunesse.

A quoi bon d’ailleurs insister? Tant d’écrivains, poètes, romanciers, ont parlé de l’amour que ce serait folie de vouloir donner ici pour la cent millième fois une description psychologique informe et mal venue. Aussi laisserons-nous de côté, après cette ébauche rapide, la psychologie de l’amour suivant les peuples, les