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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/165

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temps et les races. Nous voulions simplement montrer que tous ces sentimens amoureux, qui font vibrer avec tant de force, jusqu’aux plus intimes profondeurs de l’être, les âmes des jeunes hommes et des jeunes femmes, ont leur raison d’être dans ce grand instinct universel de la recherche des sexes l’un pour l’autre. Notre intelligence, au lieu d’amoindrir cet instinct, n’a fait que le développer, l’agrandir, lui donner une forme esthétique et la conscience de soi. Chez les hommes et les bêtes, il y a amour ; mais c’est chez les hommes seuls qu’il y a conscience de l’amour.

L’amour tient dans la vie une place prépondérante. Quand on arrive à un certain âge, alors qu’on ne peut plus guère former d’autre espoir que de ne pas descendre trop vite la pente qui mène à la vieillesse, on reconnaît que tout est vanité, sauf l’amour. Malgré les déceptions, les tristesses, les mensonges, les abdications, qu’il traîne presque toujours avec lui[1], c’est encore de toutes les passions humaines celle qui nous émeut le plus, qui nous prend tout entiers, corps et âme, sans qu’il soit possible de s’en défendre, et même sans qu’on désire s’en défendre.

Les poètes, les peintres, les musiciens, ont admirablement compris cette extraordinaire puissance. Toutes les œuvres d’art ont l’amour pour but presque unique. Où sont les romans, où sont les pièces de théâtre desquelles l’amour soit absent? C’est la beauté d’Hélène qui a provoqué la guerre de Troie, et par conséquent inspiré l’Iliade. Depuis l’Iliade jusqu’aux œuvres de Guy de Maupassant et de Tolstoï, l’amour a été le grand inspirateur : das ewig weibliche, comme disait Goethe.


VIII.

A côté de cet amour schématique que nous avons essayé de décrire en quelques lignes, il y a bien d’autres formes de l’amour : l’amour platonique et l’amour brutal, tous deux aussi imparfaits l’un que l’autre.

L’amour dit platonique, — qui ne ressemble d’ailleurs pas beaucoup à l’étrange conception que Platon s’en faisait, — c’est l’envahissement de l’idée sur l’instinct. Nous disions tout à l’heure que l’instinct amoureux amenait dans l’intelligence les idées amoureuses.

  1. Il n’y a peut-être rien de plus beau que ces vers de Lucrèce :

    Medio de fonte leporum
    Surgit amari aliquid quod in ipsis floribus angat.