Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque ces idées sont assez fortes pour éteindre la passion physique qui les a produites, c’est une prépondérance de l’imagination sur la réalité. Parfois, certains amours platoniques ont été extrêmement puissans, mais peut-être n’étaient-ils platoniques que parce qu’ils ne pouvaient être autrement. Ce qui est absurde, c’est un amour partagé et où les deux amans, pouvant être heureux, refusent de l’être, pour mieux se livrer aux douceurs de l’amour platonique qui plane au-dessus des réalités terrestres.

Cet amour, qui reste platonique lorsqu’il pourrait cesser de l’être, est extrêmement rare. Ce qui est très fréquent, c’est qu’il soit accepté comme un pis-aller, et en effet, souvent, il y a bien des raisons qui militent en faveur de la continence. Mais alors, quand l’abstention est nécessaire, — pour des causes multiples dans le détail desquelles il n’est pas intéressant d’entrer, — ce n’est pas de l’amour platonique, c’est de l’amour non satisfait (ce qui est bien différent). Or ces amours que la possession n’assouvit pas sont précisément les plus tenaces et les plus profonds.

Il est vrai que parfois l’image de l’objet aimé est devenue si puissante que la passion physique en paraît diminuée. C’est la supériorité de l’homme intelligent sur la brute. Un homme généreux pourra immoler son amour même au bonheur de la femme qu’il adore, et, quoique des exemples d’un si grand désintéressement soient peu communs, on en trouverait si l’on voulait bien chercher.


L’amour brutal est le contraire de l’amour platonique; c’est l’union des sexes sans amour; et il est presque inutile de dire qu’elle est très commune.

Quand nous disons sans amour, nous ne voulons pas dire qu’il ne se produit pas une sorte de désir physique passager. Certes, au moins chez l’homme, ce désir existe toujours ; car, s’il venait à faire défaut, toute union serait impossible; mais l’excitation momentanée des sens, que tout homme, jeune et ardent, ressent quand il est à côté d’une belle fille s’offrant à lui, n’a rien de commun avec la passion amoureuse. C’est un désir brutal qui disparaît aussi vite qu’il est né. En cela, l’homme est revenu aux instincts sexuels des animaux. Ce n’est pas là ce noble sentiment de l’amour que les poètes ont chanté. C’est un désir physique brutal. C’est l’amour, si l’on veut, mais l’amour dans sa forme la plus animale et la plus matérielle.

Mais, pour la femme, l’union sans amour est d’une fréquence extrême; nous voulons parler de la prostitution, et sur ce point nous trouvons l’humanité décidément inférieure aux animaux.