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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/168

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et le père est absolument indifférent au sort de sa future famille. C’est la mère seule qui va avoir la grossesse, l’enfantement, l’éducation des enfans. Lui, le père, égoïstement, retourne à ses travaux, à d’autres plaisirs ou à l’oisiveté, sans qu’il se croie engagé à la protection de cette famille qu’il vient de créer avec tant de légèreté et d’insouciance.

De là la nécessité du mariage : il faut au père une part de responsabilité dans l’alimentation et l’éducation des enfans. Il a des devoirs à remplir envers la femme et les enfans, et son rôle n’est pas terminé quand il a cessé d’éprouver le désir amoureux. Le mariage est là pour l’empêcher de l’oublier.

Le mariage est donc une institution sociale qui a sa base dans les conditions naturelles de notre existence. Pour que la famille soit, il faut qu’il y ait mariage ; car il est absurde de supposer une société où les hommes n’auraient pas à s’occuper de l’existence des femmes et des enfans. En même temps le mariage empêche la promiscuité (qui paraît vraiment contraire aux sentimens naturels), et maintient une sorte de fidélité conjugale. Il a donc un double but ; la fidélité de la femme envers l’époux, et les devoirs du père envers les enfans.

Aussi dirons-nous, au risque d’être taxés de blasphémateurs, que le mariage et l’amour sont d’origine toute différente. L’amour, c’est un sentiment profond, instinctif, qui prend l’âme et le corps, qui nous possède tout entiers. Le mariage est une invention humaine sans laquelle il n’y aurait pas de société. Attenter au mariage, c’est violer les lois de son pays, et les lois les plus respectables, les plus nécessaires; mais ce n’est pas violer les lois naturelles[1].

Chez certains peuples primitifs, le sentiment paternel est si peu marqué que, pour assurer l’éducation des enfans, il faut s’en rapporter au hasard qui décide de la paternité. Chez quelques peuplades africaines, raconte Hérodote, les hommes et les femmes s’accouplaient au hasard, comme les bêtes d’un troupeau. Quand un enfant était devenu grand, la peuplade réunie l’attribuait à l’homme avec qui la ressemblance était le plus grande, et qui alors était considéré comme son père. Chez les animaux, même les plus intelligens, chiens, singes, éléphans, il n’existe pas de vestiges de l’amour paternel.

Ainsi le sentiment maternel et le sentiment paternel ont des

  1. Tandis qu’il y a certaines monstruosités, des amours contre nature, qui ne sont pas seulement contraires aux lois établies par les hommes, mais qui sont d’odieux attentats contre les lois naturelles.