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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/188

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Expulsé de Berlin en 1865, Liebknecht se fixait à Leipzig, où il trouvait, à la veille et au lendemain de la guerre de 1866, l’auditoire le plus favorable à sa propagande contre la Prusse, qu’il ne cessait de dénoncer comme la delenda Carthago. Les Allemands venaient de se canonner entre eux. Le seul nom prussien excitait en Saxe les plus violentes passions. A l’antipathie invétérée de ces populations douces et polies pour la morgue et l’arrogance des Junkers se joignait l’humiliation de la défaite. La nouvelle confédération de l’Allemagne du Nord laissait dans les états du Sud des légions de mécontens. Liebknecht exprimait le sentiment général lorsqu’il flétrissait l’hégémonie de la Prusse comme la malédiction, la mutilation de la patrie, lorsqu’il défendait l’idée, populaire en Saxe, de la Grande Allemagne, d’où les frères d’Autriche ne seraient pas exclus. L’administration militaire prussienne supprime son journal. Il retourne à Berlin sur la foi de l’amnistie, on l’emprisonne. Il revient ensuite à Leipzig sans ressources, sans perspectives d’avenir. Il y avait gagné un partisan, l’ouvrier tourneur Bebel, qui en valait des milliers.

Liebknecht est le chef de la démocratie socialiste ; Bebel en est l’apôtre. Né en 1840, il est fils d’un sous-officier d’infanterie prussienne. En cette qualité, très modérément libéral à ses débuts, simplement démocrate, il avait prononcé, en 1863, un discours contre l’établissement du suffrage universel. C’est en étudiant, pour les combattre, les écrits de Lassalle, qu’il s’initia à la doctrine. Liebknecht a exercé sur lui une action décisive. Bebel, déjà influent en Saxe, pays de grande industrie, président à Leipzig du comité permanent des associations d’ouvriers allemands, lui apportait le noyau d’un parti.

Au Reichstag constituant de l’Allemagne du Nord, où ils siégèrent parmi les démocrates, Liebknecht et Bebel, s’abstenant de profession de foi socialiste, se signalèrent comme mangeurs de Prussiens. Ils prenaient violemment à partie la politique de Bismarck, l’œuvre de 1866. Un conflit avec la France allait en être, disaient-ils, la conséquence inévitable.

Les trois années qui précèdent la guerre de 1870 sont importantes dans l’histoire du parti. En 1867, Marx publie le premier volume du Capital; dès les premières pages il répudie dédaigneusement Lassalle. En même temps que la doctrine se fixe dans cette bible du socialisme allemand, commence l’agitation pratique. Le suffrage universel excite l’intérêt à la vie politique. Des associations de métiers s’organisent en foule, avec un double caractère : protéger les intérêts du travail, et en même temps former un parti exclusivement animé de l’esprit de classe. Mais il y avait lutte entre les lassalliens, présidés par Schweitzer, soupçonné d’alliance