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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/189

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secrète avec Bismarck, et les partisans de Bebel et de Liebknecht. Une tentative de fusion, au congrès d’Eisenach (août 1869), n’aboutit pas. C’est alors que Liebknecht fondait le parti ouvrier démocrate socialiste qu’il devait conduire à de si brillantes destinées.

Les dissensions des deux partis, dont l’un se recrutait surtout dans l’Allemagne du Nord et l’autre à Leipzig, avec des tendances internationales très marquées, s’accrurent encore lorsqu’éclata la guerre de 1870, qui entraînait les Allemands dans un grand courant patriotique où disparurent les rancunes des années précédentes. Bebel et Liebknecht refusèrent de voter l’emprunt de guerre, « une guerre dynastique, disaient-ils, préméditée et préparée de longue main par le gouvernement prussien contre la France, pour le profit et la gloire de la maison de Hohenzollern. » Ils prédisaient maintenant que de cette guerre sortirait l’alliance de la France et de la Russie, et une lutte redoutable entre Germains et Slaves. Avec Karl Marx, ils protestèrent énergiquement contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine et portèrent la Commune aux nues. Arrêtés, accusés de haute trahison, et condamnés à deux années de forteresse, ils s’étaient détendus énergiquement, au cours du procès, de conspirer dans l’ombre au renversement de l’ordre établi. Ils se donnaient pour des propagandistes qui n’attendent la victoire que de l’expansion de leurs idées.


III. — LA GUERRE DE 1870 ET SES SUITES.

L’agitation de deux partis avait été singulièrement efficace, car aux élections de l’Allemagne unifiée en 1871, le nombre des voix socialistes s’éleva à 124,655. L’impulsion la plus puissante et la plus rapide leur vint des suites mêmes de la guerre de 1870, qui transforma le caractère national.

« Avant la guerre, les habitudes modestes, sédentaires, du peuple tendaient à rendre chacun content de son lot et hostile aux changemens sociaux... La guerre, avec ses excitations et ses triomphes, puis l’établissement de l’empire suivi d’une foule de lois qui ont modifié la vie sociale du peuple, ont effectué une métamorphose complète... En même temps une courte période de grande activité commerciale et de spéculation effrénée a produit sur les masses une profonde impression, et semble avoir altéré d’une façon permanente et à un haut degré leur précédent caractère. L’Allemagne avant la guerre était un pays de vie et de production relativement à bon marché, elle ne l’est plus[1]. » Après la pluie d’or de nos

  1. Wells, Economic changes.