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préalablement éclaircir et que j’ai ordre de vous mander. Le reste sont des complimens. » — Cumberland dut convenir qu’il n’avait d’autre pouvoir que d’ouvrir l’oreille, puis de transmettre un nouveau message.

Maurice n’avait pas tort de croire que l’essentiel était d’aller vite, surtout si on voulait traiter l’affaire royalement et militairement et n’admettre aucun tiers dans le tête-à-tête des deux princes. Effectivement, le temps nécessaire pour un nouvel échange de lettres, et de nouvelles allées et venues de courriers était déjà mis à profit par les conseillers belliqueux du roi George pour donner avis à Vienne et à La Haye que, sur le théâtre de la guerre, les deux adversaires pensaient à autre chose qu’à se battre, et l’émotion que cette révélation causa indique assez dans quel état de méfiance réciproque les coalisés vivaient à l’égard les uns des autres. Saisie de crainte à la pensée d’être gagnée de vitesse et surprise par un arrangement direct entre la France et l’Angleterre, Marie-Thérèse, sans perdre un jour, envoya à son général, le maréchal Bathyany, l’ordre de ne laisser entamer aucune conversation entre Cumberland et Maurice sans s’y faire admettre, et tous les pouvoirs nécessaires pour y prendre part. « Je ne veux, disait-elle, retarder en aucune manière une voie si salutaire, étant bien aise que les affaires se traitent par le maréchal de Saxe, que j’estime beaucoup. » Ajoutons que, pour la première fois, l’impératrice se montrait résignée à se laisser parler d’un établissement espagnol en Italie. A la vérité, elle offrait à l’infant un lot ingrat qu’elle n’avait garde de laisser prendre sur son propre domaine : c’était la Corse, propriété nominale très mal soumise et toujours à l’état de rébellion de la république de Gênes[1].

A La Haye, l’alarme fut plus chaude encore : le nouveau stathouder, élu dans un mouvement d’effervescence patriotique et populaire, ne pouvait se dispenser d’avoir toujours à la bouche les mots de guerre et de résistance, même quand au fond de l’âme (comme on commençait à s’en apercevoir dans ses communications plus intimes) la responsabilité du pouvoir lui inspirait des désirs et lui suggérait des conseils de prudence. Mais, de plus, sa jalousie contre son royal beau-frère était chaque jour plus excitée, et, déjà très mécontent d’avoir dû lui laisser faire la guerre à sa place, il ne pouvait se résigner à lui laisser traiter la paix en son nom. Il dépêcha en toute hâte à Londres son confident, le comte Bentinck,

  1. D’Arneth, t. III. p. 239 et 478. — La lettre de Marie-Thérèse à Bathyany est datée du 17 juillet, évidemment écrite au moment où elle dut recevoir l’avis de Londres, où la proposition de Maurice fut connue le 11.