Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont aussi susceptibles d’union, de discipline, que l’armée de la loi. Ces mesures n’eurent d’autre effet que de resserrer les liens des membres entre eux. Jamais ordre si parfait n’avait été atteint dans l’histoire des combats de classes. En expulsant des grandes villes les socialistes les plus militans, on en faisait des prosélytes errans, pleins d’amertume et de colère. Eux chassés, d’autres les remplaçaient; nulle part, les adeptes n’étaient plus nombreux que dans les districts où régnait le petit état de siège. Quelle loi, quelle police, pouvaient atteindre la propagande d’homme à homme, celle de l’atelier, du cercle intime, de la famille? Aucune imprimerie n’aurait tenté de publier des écrits socialistes; leur introduction était étroitement surveillée à la frontière. Or le député socialiste Vollmar affirmait au Reichstag que 500,000 exemplaires de journaux et de brochures interdites étaient répandus chaque année en Allemagne. Le Sozialdemokrat, organe officiel du parti, édité à l’étranger, était semé jusque sur les routes, et lu comme on lit les œuvres prohibées, avec ferveur. On ne pouvait sans danger recueillir des cotisations en Allemagne : on en recevait de l’étranger. Il était interdit aux chefs de se concerter; ils réussissaient à dépister la police, et à régler les affaires du parti dans trois congrès, de 1880 à 1887, aux ruines du château de Wyden, à Copenhague, à Saint-Gall. Aux élections de 1881, à la surprise générale, les démocrates socialistes obtenaient 311,961 voix et douze députés; la répression draconienne ne lui en avait ôté que 125,000, et depuis, le nombre des voix n’a cessé de progresser dans des proportions imprévues.

Des mesures préventives, jointes aux mesures répressives, bien loin d’enrayer le mouvement, n’ont eu d’autre effet que de l’accélérer. M. de Bismarck combinait en vain le système de la cravache et du morceau de sucre. Il s’emparait des exigences justifiées du parti socialiste pour que le sol lui manquât sous les pieds. Le socialisme d’état devait apporter la solution pacifique de la question sociale. Tout le monde en Allemagne raisonnait maintenant sur le socialisme, professeurs d’université, docteurs de la science économique, médecins consultans du corps social. Catholiques et protestans rivalisaient de zèle, ils avaient commencé, dès 1868 et 1870, à fonder des sociétés de secours, des institutions de prévoyance. L’état intervenait à son tour pour protéger le travail, seconder les intérêts, alléger les souffrances de la classe ouvrière. Le message impérial du 17 novembre 1881 annonçait la législation qui a donné, de 1883 à 1889, les lois sur l’assurance des ouvriers contre la maladie, contre les accidens, contre l’invalidité et la vieillesse. Mais, bien loin d’apaiser les ouvriers, elle achevait de leur démontrer la justice de leurs réclamations, et la crainte qu’ils inspiraient, sans satisfaire leurs exigences. L’état semblait promettre par là de réparer