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Il ne voyait que des inconvéniens, au contraire, à se transporter lui-même d’une extrémité de la Flandre à l’autre avec l’armée et la personne du roi. C’était abandonner un camp parfaitement établi, où toutes les positions étaient gardées et toutes les subsistances assurées, et s’aventurer sur un terrain où rien ne serait préparé pour un vaste déploiement de troupes. La prise de Berg-op-Zoom, quelque prix qu’on y attachât, ne valait pas à ses yeux les chances qu’un tel risque ferait courir. C’était donc la seconde fois, dans le cours de la même campagne, que des propos d’intrigans et d’ignorans tenus dans des antichambres ministérielles ou royales venaient entraver des mesures arrêtées après de sérieuses réflexions. Pour le coup, il en conçut une humeur qu’il ne put contenir, et sa réponse à Noailles eut un accent de découragement et de dépit qui ne lui était pas habituel : — « Les personnes d’esprit, lui dit-il, et surtout les personnes éloquentes sont très dangereuses dans une armée, parce que leurs opinions font des prosélytes et, si le général n’est pas un personnage opiniâtre et entêté de son opinion (ce qui est un défaut), ils lui donnent des incertitudes, capables de lui faire commettre de grandes fautes; c’est le cas où je me trouve. »

Rappelant alors les fausses manœuvres dues à des influences de ce genre qui l’avaient amené malgré lui à Lawfeldt et qui étaient en partie cause du résultat imparfait de cette victoire, il n’hésitait pas à s’accuser lui-même pour mieux être en droit de se plaindre des autres; il convenait qu’il avait résolu le siège de Berg-op-Zoom, pour justifier l’évènement du combat de Lawfeldt, croyant par erreur que c’était une mauvaise place, et il ne dissimulait pas que, dans les conditions où elle était entreprise, cette entreprise paraissait dépasser les forces humaines. « Mais, maintenant, ajoutait-il, la politique nous porte et notre amour-propre nous échauffe sur cette entreprise au point que nous sommes prêts à y sacrifier l’armée, la gloire de nos armes et celle du roi. Les esprits s’échauffent, on blâme le général de sa lenteur ; il ne saurait partir trop tôt pour se précipiter dans ce labyrinthe qu’il prévoit : on parle, on remet des mémoires, on se communique ses idées comme si celui qui est chargé de la conduite de cette campagne n’en était pas occupé, on veut le faire marcher, on brigue, on cabale à cet effet... Quelque ferme que je sois sur mon opinion, je ne suis pas assez hardi pour