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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/28

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portes à ceux qui les suivaient. La garnison surprise et épouvantée recula en désordre, et pendant qu’une partie se réfugiait dans les rues de l’intérieur, se mettant à couvert, ou dans les maisons, ou derrière des barricades précipitamment élevées, une autre sortait par les issues restées ouvertes du côté du camp retranché. Avant la fin de la journée, Lowendal pouvait écrire à Maurice : — « Monseigneur, je vous fais mon très humble compliment sur la prise de Berg-op-Zoom que nous venons de prendre l’épée à la main... Nous avons perdu fort peu de monde, l’ennemi beaucoup : il a été nécessaire de désaccoutumer ces gens-là d’attendre cette sorte d’extrémité... Au reste, de sang-froid on n’a tué personne. »

Ces dernières phrases portaient l’empreinte d’un sentiment de tristesse et d’embarras qui se mêlait déjà dans l’âme du vainqueur à la joie d’un si glorieux fait d’armes. effectivement, les plus louables efforts avaient bien été faits pour épargner, à une cité que la politique autant que l’humanité commandait de ménager, le sort ordinairement réservé aux places prises d’assaut, et pendant les premières heures, l’ordre et la discipline furent maintenus non sans peine dans les rangs de la troupe victorieuse. Mais quand on apprit qu’une partie seulement de la garnison, comme je viens de le dire, s’était mise en retraite, et que l’autre, entassée dans les ruelles intérieures, continuait à s’y défendre, puis, qu’en essayant d’y pénétrer, on fut assailli par un feu très vif, parti des fenêtres ou des toits, l’impatience et l’irritation du soldat ne purent plus être contenues ; rien ne put l’empêcher de frapper au hasard et sans pitié, et de faire main basse sur tout ce qui tombait sous sa main; plusieurs quartiers de la ville furent livrés, pendant la fin de la journée et toute la nuit qui suivit, à d’horribles scènes de violences. « Le pillage, écrivait le lendemain un témoin oculaire, a duré jusqu’à dix heures du matin, et il s’est passé tout ce que la fureur du soldat effrénée peut produire. La ville, ainsi désolée, est devenue un, sépulcre effroyable, remplie d’ivrognes et de malfaiteurs.» Les routes environnantes par lesquelles de malheureux fugitifs avaient essayé de se dérober à la furie du vainqueur étaient jonchées de cadavres. Puis le lendemain, ce fut une scène d’un autre genre qui n’était pas moins repoussante. Une sorte de foire fut ouverte, où des juifs et des trafiquans de bas étage venaient acheter aux soldats tous les objets de valeur qu’ils s’étaient appropriés.

Quand Lowendal connut l’étendue du désordre, il sentit le besoin de se justifier lui-même et ses soldats, d’y avoir volontairement concouru : il s’efforça de rejeter toute la faute sur les valets, les goujats et toute la méprisable suite qui s’attache toujours aux pas d’une grande armée. « J’aurais bien voulu, écrivait-il, préserver