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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/283

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soutiennent de hautes branches emplissant l’espace de verdure. Et les dévots achètent ces bambous, les déposent aux pieds des vaches, qui les acceptent comme une dette et les mâchent avec sérénité. Du haut des arbres pendent des vases de terre, verts de mousse, où s’abattent des volées de perroquets, leurs jolies têtes rondes cerclées de rouge...

Tout d’un coup un piaffement de chevaux... Qu’est-ce que cette fière cavalcade qui débouche sur la place? Les jolies bêtes dont le poil brille, les beaux cavaliers dont les armes étincellent! c’est le frère du rajah suivi de ses barons, précédé de ses hommes d’armes qui courent à pied, portant des hallebardes. Bonnet de velours sur l’oreille, en tunique de fleurs vertes, il maîtrise son cheval qui danse. Très rapidement je l’entrevois : noble et hardi visage où l’on sent la race, le sang antique, l’instinct du commandement. C’est un vrai kchattrya, qui descend en droite ligne des premiers conquérans de l’Inde.

Cependant des éléphans rentrent à l’écurie. En voici sept, colosses rugueux et sombres, philosophes taciturnes, pleins de lenteur, supérieurs à tous les êtres qui tourbillonnent au-dessous d’eux. Un à un ils disparaissent sous un portique, frôlant la terre de leurs trompes, berçant trois cornacs sur leurs fronts massifs, où deux grands lobes font saillie. Pliant les jambes avec une démarche humaine, étalant doucement leurs larges pieds mous, ils passent, silencieux comme des ombres. — Quelle profonde pensée dans ces puissantes têtes mornes, et comme ils ignorent le peuple inférieur des hommes et des bêtes qui s’écartent devant eux! On comprend, à les voir, que Ganesh, le monstre à tête d’éléphant, soit dieu de la Sagesse...

A toute seconde, les tableaux changent. J’essaie d’en noter un au vol : devant une haute porte de palais où s’enfoncent les pachydermes, les chameaux, tout un peuple, l’air est épais de faucons. Ils tournoient et crient devant l’image rouge du dieu éléphant, qui sommeille dans une niche au-dessus du portique. Et des trompes aigres font une musique hindoue.

Tout autour de la place, des temples, des monumens, une université, des palais : l’un, entre autres, d’un rose étrangement vif, dressé en pyramide, hérisse une façade de neuf étages faite de cent clochetons et de soixante-quatre fenêtres en saillie, fleurie de colonnettes et de balcons, percée à jour de mille fleurs évidées dans la pierre, une architecture vaporeuse, aérienne, excentrique, impossible. C’est le palais du Vent, — le palais du Vent! Ce nom m’enchante. De même, sur les belles petites collines qui entourent la cité, on aperçoit le palais des Nuages, le temple du Soleil. La