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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/302

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des tourbillons, à tous momens composés de nouvelle substance : aussitôt qu’un de ces tourbillons abandonne une certaine quantité de matière, il absorbe et entraîne une quantité équivalente de la matière qui l’environne, et les morts sont incessamment remplacées par les naissances. Il en est ainsi de tous les ensembles. Partout, dans le monde sensible, on ne voit que des groupes en train de se faire ou de se défaire, mais ne se défaisant que pour former de nouvelles combinaisons, sous la variété desquelles persiste un être éparpillé, mais un et impérissable. Tout l’univers est comparable à un océan où frémissent des millions de vagues. Chacune d’elles, qui s’élève et qui s’abaisse, est une vie qui commence et qui finit. Aussitôt écroulée en écume, une irrésistible puissance la soulève de nouveau vers la lumière. Mais qui ne voit que ces ondulations rythmiques ne sont que des apparences, puisqu’à chaque instant leur matière est différente et qu’il n’y a rien de réel en chacune d’elles que la force unique et générale qui, aveuglément, indifféremment, sans souci des heurts et des froissemens locaux, fait bruire et remue toute cette mer. Un être particulier n’est qu’un fragment momentané de cette force. Qu’il change, qu’il croisse, qu’il meure, elle n’en est pas affectée. C’est le même Siva qui rayonnait dans ce front candide et frais de jeune fille, dans ce sein délicat et ferme, imperceptiblement veiné d’azur et de rose, et qui fait fondre en liquides innomables ce cadavre qu’on n’ose pas regarder. C’est le même Siva qui agissait dans notre nébuleuse primitive, et qui aujourd’hui, déployé en soleil, en planètes, se disperse sur notre globe en continens, en mers, en montagnes, en formes organiques, en races humaines, en sociétés, en villes. C’est le même Siva qui, par la transformation des mouvemens visibles en mouvemens moléculaires, par la chute lente des planètes les unes sur les autres, retourne à son état primitif d’énergie indéterminée, d’où peuvent sortir de nouveau un soleil, des planètes, des mers, des continens, des végétations, toute une vie multiple et lumineuse. Allons plus loin : cette énergie même de notre monde solaire n’est point une puissance isolée; elle n’est qu’une portion de l(énergie totale, puisqu’à travers l’univers entier, tous les astres, bien mieux, toutes les particules matérielles font sentir leur attraction. Notre système se meut dans son ensemble vers un certain point du firmament. Qui sait s’il ne décrit pas une courbe immense, lentement diminuée; s’il ne tombe pas, lui aussi, avec les autres systèmes, sur un certain point central, comme ses propres planètes tombent sur son soleil, et si l’univers entier ne tend pas à retourner à l’homogène, à l’indifférencié? Cette loi possible, la sagesse hindoue l’a entrevue, quand elle a parlé de ces jours de