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monétaire agiter à ce point l’opinion publique dans un grand pays, car elle figure dans presque toutes les platforms électorales[1].

Les Américains qui ont le plus approfondi ce grave problème, ainsi les sénateurs Aldrich, Bland, Teller, Jones, les députés Kelly, Wickam, Williams, se rendent bien compte que le meilleur moyen de régler définitivement cette question est d’amener l’Europe à s’entendre avec l’Amérique, pour adopter le bimétallisme international, sur la base d’un rapport légal identique à établir entre l’or et l’argent, comme le voulait Newton. Mais ils pensent, — et beaucoup d’économistes et de financiers européens partagent cette opinion, — qu’en ramenant le prix de l’argent à l’ancien taux et en montrant ainsi que la loi, qui a amené la dépréciation de ce métal, peut aussi en assurer la réhabilitation, on arriverait à faire disparaître la défaveur dont il est frappé. Si l’argent, sous l’empire de la frappe libre aux États-Unis, conservait une valeur stable, les états européens qui l’ont proscrit pourraient, espèrent-ils, lui rouvrir leurs hôtels des monnaies, et ainsi les échanges dans le monde entier se régleraient, comme cela s’est fait de tout temps, au moyen des deux métaux. Je suis de ceux qui restent convaincus que rien n’est plus désirable, mais je ne crois pas que la politique monétaire adoptée récemment à Washington soit le meilleur moyen d’atteindre le but désiré.

Il est hors de doute que l’Allemagne, en démonétisant l’argent, après 1870, a provoqué une crise économique intense et persistante, qui a donné lieu, en tous pays, à des enquêtes parlementaires et dont les conséquences fâcheuses se sont fait sentir dans le monde entier. Les autres états ayant suspendu la frappe libre de l’argent, il en est résulté que l’or seul a dû faire l’office d’instrument international des échanges, au lieu des deux métaux réunis, alors que, d’une part, la production annuelle de ce métal tombait de 700 à 500 millions et que, d’autre part, le mouvement général des affaires, s’accroissant sans cesse, exigeait plus de moyens de les régler. Un changement aussi brusque et aussi intempestif devait nécessairement amener de profondes perturbations, auxquelles l’Amérique cherche à porter remède, au moins pour son compte.

Le système monétaire bimétallique, j’ai essayé de le montrer à diverses reprises[2], offre de grands avantages: il sanctionne la coutume immémoriale et tient compte des faits actuels ; s’il est

  1. Un télégramme nous apprend que la lettre que Cleveland vient de publier contre la frappe libre de l’argent l’empêchera d’être désigné pour la présidence à la prochaine élection.
  2. Voir mon volume : la Question monétaire en 1881 et plus récemment: la Question monétaire en 1890, échange de vues, par MM. Frère-Orban et Émile de Laveleye.