Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Soetbeer); absorption par l’Orient, 100 millions de francs; frai, pertes, etc., 25 millions de francs : total, 425 millions de francs. Restent 75 millions disponibles pour répondre à l’accroissement si rapide de la population, de la richesse et des échanges dans le monde, et que d’états, à commencer par la Russie et l’Autriche, qui aspirent à remplacer leur papier-monnaie par de l’or! Il n’est pas un seul pays, sauf la France, qui ait assez d’or, pas même la riche Angleterre. Au printemps dernier, lors de la discussion, dans la chambre des communes, au sujet du bimétallisme, le chancelier de l’Echiquier, M. Goschen, la plus haute autorité en la question, disait : «Je ne puis songer, sans un sentiment de honte (shame), que notre marché monétaire est à la merci d’un retrait de quelques millions sterling. » Et la crise de novembre dernier lui donnait raison, puisque la Banque d’Angleterre a dû emprunter 3 millions sterling à la Banque de France. De cet or relativement si rare et si disputé, chaque état veut avoir sa part, parce que c’est désormais le seul métal qui ait une valeur universelle. De là ce que les Anglais ont appelé le struggle for gold, mot que M. de Bismarck traduisait en cette image brutale, mais juste : « Quand la couverture est trop étroite et que chacun veut en avoir son coin, on se cogne.»

Lorsqu’un pays veut attirer à lui ou conserver de l’or, l’expérience a montré qu’il y a pour cela deux moyens : élever le taux de l’escompte, ce qui attire les capitaux (c’est ce que fait l’Angleterre) ; ou élever les droits de douane pour se créer une balance favorable (c’est ce que font les autres états). La hausse de l’escompte frappe le national, la hausse des droits frappe l’étranger; on préfère donc naturellement celle-ci. La baisse générale des prix qui a caractérisé la crise de 1873 à 1889, et qui est due, d’après moi, à la contraction monétaire, a été attribuée par les industriels et par les agriculteurs de chaque pays à la concurrence étrangère : ils ont donc voulu s’en défendre par la protection. Au contraire, quand, après 1850, l’abondance de l’or des placers a provoqué la hausse des prix, tous les producteurs en bénéfice étaient disposés à accepter le libre échange. On ne s’explique pas comment les économistes partisans du free-trade ont pu approuver la proscription de l’argent, qui méconnaissait à la fois les lois de la nature, mettant à la disposition de l’homme deux métaux monétaires, et l’usage immémorial consacrant leur emploi simultané, et qui devait par conséquent provoquer le réveil du protectionnisme, en contribuant à abaisser tous les prix.

Il est certain que l’Amérique, si même elle va jusqu’à la frappe libre de l’argent, ne se laissera pas dépouiller de son or sans une