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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/35

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qu’il se croyait cette fois assuré d’avoir fixé les irrésolutions de sa maîtresse[1].

C’était le fait : les insistances affectueuses de Marie-Thérèse, l’intimité rétablie entre les deux reines et même un traité d’alliance et de défense réciproque conclu depuis plus d’un an déjà (26 juillet 1746), tous ces arrangemens domestiques ou diplomatiques étaient restés lettre morte, tant qu’aucune offre pécuniaire n’était venue les sanctionner. Mais tout changea quand les puissances maritimes se décidèrent à ouvrir leurs bourses qu’on croyait toujours bien garnies et que, cédant aux instances du stathouder, le gouvernement anglais consentit, de concert avec les États-Généraux, à prendre à son compte par deux conventions successives (juillet et décembre 1747) les subsides nécessaires pour assurer un convoi suffisant de troupes à travers l’Allemagne. On se mit alors sérieusement à l’œuvre pour joindre les effets aux promesses, et avec d’autant plus d’empressement que, dès qu’il y avait à Saint-Pétersbourg un maniement d’argent à faire et des fonds à recevoir, le trésor impérial n’était jamais seul à toucher les versemens et plus d’un intermédiaire haut placé, sans excepter le chancelier lui-même, prélevait au passage une commission à son profit. Le chargé d’affaires français continua bien à assurer que, quelle que fût l’hostilité manifeste des intentions, jamais en fait les vices et les lenteurs de l’administration russe ne permettraient à un corps d’armée d’arriver à temps pour le jour du combat dans les plaines de la Flandre; mais cet agent, à qui on reprochait de n’avoir su rien prévoir ni rien prévenir, n’inspirait plus de confiance. On dut le rappeler en ne lui laissant d’autre remplaçant qu’un simple consul : les relations diplomatiques se trouvèrent interrompues et il fallut s’attendre à voir apparaître sur la frontière même de France un ramassis de troupes semi-barbares dont la composition était peu connue et dont la valeur n’avait même jamais été éprouvée, mais qui, ne fût-ce que par leur nombre, pouvait altérer à un moment donné toute la balance des forces.

On était donc en présence, à courte échéance, d’un fait inouï, presque incroyable, dont on ne pouvait trouver d’exemple qu’en remontant jusqu’au temps des grandes invasions musulmanes ou tartares. Restait à savoir ce qu’en allaient penser les puissances dont, sinon le concours, au moins le consentement était nécessaire pour qu’un déplacement d’hommes si lointain et si considérable pût s’accomplir et qui devaient se trouver par là troublées dans

  1. Daillon, chargé d’affaires à Saint-Pétersbourg, à Puisieulx, 23 décembre 1747. (Correspondance de Russie. — Ministère des affaires étrangères.)