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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/351

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Platon disait déjà : « Les leçons qu’on fait entrer de force dans l’âme n’y restent pas. N’use donc pas de violence envers les enfans dans les leçons que tu leur donnes; fais plutôt en sorte qu’ils s’instruisent en jouant ; par là tu seras plus à portée de connaître les dispositions de chacun. Il faut mener les enfans à la guerre sur des chevaux, les approcher de la mêlée. Tu mettras à part ceux qui auront montré plus de patience dans les travaux, plus de courage dans les dangers, et plus d’ardeur pour les sciences. »

En un mot, on doit solliciter par de premiers essais d’instruction les goûts et les aptitudes, afin de pouvoir les discerner et les mettre à profit ; mais on ne peut arriver à ce résultat essentiel qu’en laissant à l’enfant un certain loisir pour se développer suivant le sens particulier qu’il préfère : il faut seulement l’obliger au travail.

Or, c’est ce loisir du travail et des goûts personnels qui tend à disparaître dans nos systèmes d’enseignement secondaire. Pendant les années de l’adolescence, les plus fructueuses peut-être pour l’évolution intellectuelle, on se hâte de faire entrer l’enfant dans des moules obligatoires : la critique que je formule ici s’applique à l’enseignement des établissemens libres, aussi bien et plus peut-être encore qu’à l’enseignement officiel. Au lieu d’avoir pour premier objet les sciences ou les lettres en elles-mêmes, c’est-à-dire la recherche de la vérité scientifique et de la beauté littéraire, qui sollicitent l’enfant par leur attrait propre, sauf à le déterminer ensuite vers tel ou tel but pratique d’une façon plus particulière, l’enseignement est tout d’abord et presque exclusivement dirigé en vue des programmes d’examen. Les mobiles les plus élevés de l’intelligence sont ainsi, dès l’enfance, supprimés ou déviés de leur destination. Les baccalauréats et les concours des écoles spéciales gâtent les dernières et les plus précieuses années de l’adolescence, celles où devraient apparaître les initiatives et les vocations individuelles.

S’agit-il d’un examen proprement dit, subi sans limitation du nombre des admissibles, le jeune homme est mis en présence de programmes indéfiniment étendus. Au lieu d’être invité à approfondir une science qui lui plairait, il doit, en théorie du moins, aborder l’universalité des connaissances humaines : il s’en tire le plus souvent en apprenant par cœur un manuel, et il perd pour jamais le goût de toutes ces sciences, réduites pour lui à de stériles formulaires.

Dans les concours, le mal est autre et d’autant plus grave qu’il s’agit ici des enfans les plus distingués et les plus laborieux. Or, ceux qui se préparent à subir les concours pour entrer dans une école supérieure, telle que l’École polytechnique, n’ont pas trop de