Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout leur temps et de tout leur effort pour bien connaître le détail indéfini des questions d’examen, définies à la fois par les programmes et par la routine ou la fantaisie personnelle des examinateurs ; questions soigneusement notées à mesure, dans des cahiers spéciaux, par les professeurs ou répétiteurs qui assistent aux examens. Tandis que les candidats futurs s’y consacrent tout entiers, souvent avec un effort excessif qui épuise leur santé, ils abdiquent leur individualité et, absorbés par le mécanisme de la préparation, ils perdent, eux aussi, la curiosité et l’amour de la réflexion originale.

C’est là le plus profond défaut peut-être du système d’éducation secondaire adopté en France : il atteint à la fois l’enseignement public et l’enseignement libre, parce qu’ils aboutissent au même ensemble d’examens et de concours. Le remède serait facile à concevoir, mais non à appliquer, parce que le mal résulte de notre organisation sociale. Il est difficile d’ailleurs de se faire entendre, à cet égard, des personnes formées par ces procédés abusifs et qui se sont accoutumées à résumer l’idéal de l’instruction dans les concours auxquels elle aboutit. L’objet essentiel devient alors le concours même et les épreuves destinées à classer les candidats, l’égalité des conditions assurée pour tous. « Quelle objection faites-vous? me disait un jour un examinateur de l’École polytechnique : notre système, c’est la justice absolue. » — Un directeur des études que je ne désignerai pas, — il est mort aujourd’hui, — ajoutait : « Peu importe de nommer dans notre école un professeur médiocre, de préférence à un homme supérieur : car ce sera le même pour tous les élèves ; le classement n’en sera pas changé. » Les idées de justice et d’égalité, qui sont les fondemens légitimes de l’institution des concours, produisent ainsi des effets particulièrement nuisibles au développement général de la nation, aussi bien qu’au recrutement même des fonctions auxquelles ces concours aboutissent : car ce que l’État réclame, ce sont les hommes les plus intelligens et les plus capables de remplir les services publics, et non ceux qui ont été façonnés avec la plus parfaite perfection mécanique à un certain examen. Cette conception étroite des concours et programmes d’examen est assurément la cause principale qui concourt à altérer la marche de notre enseignement secondaire et à en fausser les résultats.

Nous venons de résumer les destinations que l’esprit public et l’opinion des familles ont attribuées à l’enseignement secondaire en France, tel qu’il existe à l’heure présente. Avant d’entrer dans des détails plus circonstanciés sur la double formule littéraire et scientifique que tend à affecter cet enseignement et dont la prédominance