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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/362

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enfans un genre d’éducation, qui peut-être leur rendra plus tard bien peu de services dans la vie pratique.

Des protestations diverses se sont élevées de bonne heure contre cette conception, les unes proclamées au nom de la théorie du progrès et de l’évolution indéfinie de l’esprit humain, les autres dictées par des sentimens purement utilitaires. Deux courans très différens d’idées se sont rencontrés ici pour combattre l’enseignement classique, dès la fin du siècle dernier. Ces deux courans existent encore de notre temps; leur coexistence et le mélange des argumens tirés de ces deux manières de voir ont jeté sur les questions agitées une confusion extrême.

Les uns, en effet, reprennent au nom du progrès la vieille querelle de prééminence entre les anciens et les modernes, soulevée par Perrault au temps de Louis XIV. C’était la première protestation contre l’esprit de la renaissance, attaquée à son tour au moment même où elle venait à peine de triompher définitivement, en invoquant l’antiquité, de la scolastique du moyen âge. Quand nos contemporains soutiennent la culture moderne et française, comme instrument d’éducation classique, contre la culture traditionnelle tirée des Grecs et des Latins, ils nous font entendre l’écho d’une opinion qui n’a pas cessé depuis deux siècles d’avoir des partisans.

Cette opinion même repose toujours, aussi bien que la thèse officielle qu’elle prétend combattre, sur la notion d’une culture littéraire, envisagée comme fondement essentiel de l’éducation. Elle la voudrait française et moderne, mais toujours universelle et exclusive. Elle tient peu de compte de la culture scientifique et elle semble regarder comme une quantité négligeable la destination professionnelle de l’enseignement secondaire.

Une semblable destination, au contraire, prédomine dans les préoccupations de beaucoup de bons esprits, et elle a donné naissance à une conception différente, qui est devenue l’origine de l’enseignement spécial, juxtaposé à l’enseignement classique depuis un quart de siècle.

La nécessité d’une certaine division dans l’enseignement secondaire, en vue des carrières spéciales auxquelles il doit conduire, a été reconnue depuis longtemps. Déjà, avant la Révolution, le président Roland accusait l’enseignement d’être trop uniforme : « Il serait nécessaire, ajoutait-il, de varier les instructions pour que tous les enfans pussent s’appliquer soit à la science pour laquelle ils ont du goût et de l’aptitude, soit à l’état qu’ils embrasseront par la suite. » Condorcet voulait également que dans les écoles on donnât à la fois un enseignement général, destiné à permettre à l’élève de reconnaître ses véritables aptitudes parmi