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la variété des objets dont les élémens lui sont enseignés, et un enseignement spécial, approprié aux vocations ainsi révélées. Dans sa manière de comprendre l’instruction des enfans, le grec et le latin ne devaient plus jouer qu’un rôle minime; mais leur place n’était pas prise par les lettres françaises, installées dans le vide créé par l’amoindrissement des humanités proprement dites.

De telles conceptions n’ont pas prévalu tout d’abord, la formule de l’enseignement classique ayant reparu dans sa plénitude, au sein des lycées de l’université impériale. Néanmoins les nécessités sociales qui leur avaient donné naissance n’en subsistaient pas moins. « Il nous faut des marchands, des agriculteurs, des manufacturiers ; notre éducation ne semble pas propre à en faire, » s’écriait Cousin, dans des termes qui rétrécissaient beaucoup le problème, et il proposait pour combler la lacune une éducation dite intermédiaire ; d’autres l’ont appelée spéciale, non-seulement de notre temps, mais dès l’époque de la Révolution.

Pour répondre à ces besoins, il s’organisa dans la première moitié de ce siècle des institutions privées, où l’on enseignait surtout le français, les élémens des langues vivantes, de l’histoire, des mathématiques : enseignement modeste destiné aux enfans qui n’aspiraient pas aux carrières libérales proprement dites. C’est cet enseignement privé qui a servi de base et de modèle à un enseignement d’état, destiné à le relever et à lui donner une formule officielle, sous le nom d’enseignement spécial, institué par M. Duruy. Son fondateur n’avait pas pour intention de créer une institution rivale et parallèle à l’enseignement classique ; il visait, comme Cousin, les professions commerciales, agricoles et industrielles, dont il voulait faire précéder l’apprentissage par une préparation littéraire et surtout scientifique plus forte, quoique tournée principalement vers la pratique.

Il se proposait en même temps de mettre fin à une tentative malheureuse de réforme, inaugurée quelques années auparavant sous le nom de bifurcation, et où l’on avait allié des tendances restrictives et illibérales, avec une ébauche d’éducation scientifique proprement dite. Après la quatrième, les élèves devaient se partager en deux groupes : ceux qui poursuivent l’éducation classique et ceux qui se destinent aux écoles spéciales, auxquels l’étude des sciences était principalement réservée. Mais en même temps les programmes de la bifurcation dépouillaient systématiquement l’enseignement des sciences de son caractère élevé et philosophique. Renouvelant les déclarations de Napoléon Ier contre les idéologues, on prétendait exclure de l’enseignement des sciences qu’on appelait « des abstractions propres à égarer l’esprit. »

La réforme, rendue suspecte par les tendances de ses auteurs,