Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présentes qui m’en empêchaient, étant obligé d’ailleurs de respecter dans un temps comme celui-ci les forces et les ostentations russiennes… Sur ce qui regarde, ajoute-t-il, les insinuations que M. le marquis de Puisieulx vous a faites, que la France pourrait se voir obligée à devenir l’alliée de la reine de Hongrie, vous lui direz que j’étais bien éloigné de croire qu’il y ait aucun ministre en France qui put oublier les intérêts de la France jusqu’à ce point, mais que si elle voulait abandonner son meilleur ami et son plus fidèle allié, il n’y aurait assurément pas de ma faute, et que je n’y pourrais rien changer. » Enfin, feignant, au lieu d’accuser le ministre lui-même, de s’en prendre à un de ses collègues qu’il ne nomme pas : « Je souhaite, dit-il, que vous eussiez nommé celui du ministère qui a lâché ces propos indécens… afin que j’aurais pu juger si ç’a été quelque homme de conséquence ou quelque autre bavard inconsidéré ; mais tel qu’il soit, je crois que vous ferez toujours bien de faire insinuer convenablement par vos amis, à ces gens-là, et de leur taire faire ces réflexions, que quand la France voudrait oublier ses intérêts les plus essentiels jusqu’à vouloir me sacrifier, elle pourrait peut-être se raccommoder avec les Autrichiens, mais que cette démarche ne produirait pas l’effet qu’elle se serait promis ; qu’elle ne lui ferait pas ravoir le cap Breton, ne lui amènerait pas la paix avec les puissances maritimes, et qu’elle augmenterait peut-être ses embarras par un surcroît d’ennemis qui sauraient plus imposer que les Hollandais[1]. »

Le trait final était aussi direct que menaçant : aussi arriva-t-il tout droit à son adresse, il n’en fallut pas davantage pour que Puisieulx, changeant complètement de ton, ne songeât plus qu’à faire oublier par des excuses, tristement humbles, les propos qui lui avaient été arrachés plutôt par une sorte d’agacement nerveux que par aucun sentiment de fierté ou de dignité véritable. Il se hâta de rappeler qu’il n’avait jamais manqué de placer la garantie de la Silésie au premier rang parmi les conditions de paix exigées par la France, en particulier dans le mémoire remis au roi d’Angleterre par l’intermédiaire du général Ligonier, et qu’il considérait la Silésie comme l’anneau d’une alliance à jamais ; puis, entrant dans une justification toute personnelle : « Le roi de Prusse

  1. Frédéric à Valori, 18 août 1747, — à Chambrier, 8 et 10 sept., 7 octob. 1747. — Pol. Corr., t. V, p. 465-472-476. — Droysen, t. III. p. 366-367. — D’après cet écrivain, Frédéric aurait fait à ce moment offrir sa médiation à la France et à l’Angleterre. Mais il ajoute qu’il était sûr qu’elle ne serait pas acceptée par l’Angleterre, qui croyait la Prusse trop liée à la France. L’offre, effectivement, ne paraît pas avoir été sérieuse ; à aucun moment Frédéric, par la raison que j’ai expliquée, ne voulut réellement rentrer en scène ni comme combattant, ni comme médiateur.