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du corps, les mains sont grosses, empotées. Jamais rien de léger ni de spontané dans les gestes. Pas d’autre danse que la valse, une valse lente et monotone, qui rappelle la régularité automatique des exercices militaires. Les duchesses françaises, quoi qu’en ait dit Musset, savent tout de même danser avec plus de charme que les bouviers allemands.

Peut-être est-ce encore à un défaut de finesse sensuelle qu’il faut attribuer le trait dominant, et en vérité le seul trait tout à fait déplaisant de la rudesse allemande : le mépris profond, continu, invariable de l’homme pour la femme. A tous les degrés de la société, et, sauf de rares exceptions, partout en Allemagne, la femme est considérée comme un être inférieur et maintenue dans un état de complète sujétion.

La chose ne date pas d’hier. Les anciens Frisons comprenaient leurs femmes et leurs filles parmi les marchandises qu’ils livraient en tribut aux Romains. Les contes populaires du moyen âge, lorsqu’on les voit au naturel, dépouillés des embellissemens romantiques, expriment à tout instant le mépris de la femme. Dans l’un d’eux (recueilli par Simrock), un soldat, mis en possession d’un talisman, n’imagine rien de plus spirituel que de faire venir la fille du roi pour préparer son souper et balayer son taudis. Encore ne la renvoie-t-il pas sans l’avoir battue, et c’est le sel de l’histoire. Au XVIe siècle de même qu’aujourd’hui, la naissance d’une fille était regardée par les parens comme un malheur. Et pour voir combien ce sentiment de dédain à l’égard de la femme est resté fort en Allemagne, il suffit de jeter un coup d’œil au hasard, autour de soi.

Dans les jardins publics, les petits garçons et les petites filles ne jouent pas ensemble. Ils forment des groupes séparés, et pareillement font leurs parens, qui, sitôt entrés dans une salle, s’en vont chacun de son côté, le père avec d’autres hommes, la mère avec des femmes à une table voisine. Les étudians, dans les universités, n’aiment guère à parler de leurs maîtresses : ils ne les voient qu’à leurs momens perdus et s’en cachent comme d’une action honteuse. Jamais les plus intimes amis ne s’entretiennent de ce genre de sujets. La femme occupe moins de place dans leur pensée, ou une place moins relevée, que la bière et le tabac. Plus tard, devenus médecins ou professeurs, ils gardent la même attitude à l’égard de leurs femmes. Chez un jeune avocat nouvellement marié, la femme mange d’avance à la cuisine, les soirs où son mari invite quelqu’un à dîner. Les propriétaires des hôtels président la table d’hôte, tandis que leurs femmes dînent avec les domestiques. Et le manque de sujets de conversation entre mari et femme est si complet que j’ai vu des couples rester des heures entières dans une