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passer d’officiers? » Malheureusement, le mariage d’une jeune fille de la bourgeoisie avec un officier est en Allemagne chose difficile, plus difficile qu’en France, la dot exigée par la loi militaire étant d’un chiffre plus haut. Et ce sont les professeurs qui profitent de ce régime. Les jeunes filles se résignent à transporter sur eux l’enthousiasme romanesque qui agite leur cœur. Plusieurs professeurs de l’université, à Bonn et à Fribourg, ont épousé de belles jeunes filles qui s’étaient éprises d’eux avant de les avoir vus, sur le seul bruit de leur renommée.


A y regarder de près, je crois que la sentimentalité des Allemands n’est pas incompatible avec l’épaisseur de leurs sens. Leur pensée, n’étant pas occupée à l’analyse des sensations, se laisse plus facilement envahir par la rêverie. Faute d’une notion exacte et détaillée des formes réelles, elle se peuple de formes fantastiques, flottantes et brumeuses, évoluant sur un rythme d’une douce mélancolie. Le gemüth est formé de deux élémens, d’un rêve et d’une émotion, mais l’un et l’autre sont tout intellectuels. Le rêve naît de l’absence de sensations précises, l’émotion ne s’adresse qu’au rêve, comme lui informe et superficielle. Dans un champ caillouteux, où le blé pousse au ras du sol, une petite fleur bleue a germé, toute frêle sur sa tige mouvante. Elle a résisté jusqu’ici, à peine si sa couleur s’est un peu pâlie. Mais je crains qu’il ne suffise, pour la déraciner, de la première bourrasque venue du Nord.


IV.

Après la sensibilité et l’intelligence, l’activité. La matière est d’une étude infiniment plus difficile ; mais c’est la nature spéciale de l’activité d’une race qui fait le fond essentiel de son âme et de sa vie.

Une chose me paraît certaine : les Allemands n’ont pas de volonté ; l’initiative, l’autonomie morale, sont aussi peu développées chez eux que les sens. Et le trait le plus caractéristique de l’activité allemande est le besoin d’obéir. Peut-être est-ce pour l’avoir trop senti que le grand Frédéric se disait « fatigué de régner sur des esclaves. »

En aucun autre pays l’esprit de réglementation n’est porté aussi loin. Il avait naguère suffi aux journaux berlinois de prêter à la France des intentions belliqueuses pour animer de haine contre la France l’Allemagne tout entière. Pendant six mois, il n’y eut pas un Allemand qui ne nous détestât ; et après un semestre, lorsqu’il fut prouvé que la France ne désirait pas la guerre, il n’y eut pas un Allemand qui ne se reprît à nous estimer.