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était fière de lui. Ç’avait été pour elle une fête inoubliable, le jour où le petit-fils de Franklin, celui que Voltaire mourant avait béni au nom de Dieu et de la liberté, remit solennellement à La Fayette l’épée d’honneur que les États-Unis lui offraient à titre de reconnaissance nationale. Mais Mme de La Fayette n’était pas faite pour les émotions de la gloire et pour les secousses de l’imagination. Le calme de la vie domestique et recueillie était son rêve. Elle ne put le réaliser que quelques années avant de s’éteindre, au milieu de privations qui lui pesaient si peu.

La Fayette emportait en Amérique de bonnes nouvelles. Son intervention n’avait pas eu seulement pour résultat de faire porter la force de la petite armée de Rochambeau de 4,000 hommes à 6,000 hommes ; grâce à lui, un prêt de 6 millions avait été mis à la disposition de Franklin pour des achats d’armes et de vêtemens. Il était temps pour les Français d’agir[1].

Pendant que Florida-Blanca demandait notre intervention auprès du congrès pour procurer à l’Espagne les avantages qu’elle souhaitait au sud des États-Unis, la situation s’y montrait sous les aspects les plus graves. Les suites de notre échec à Savannah avaient été funestes. Lord Cornwallis s’était emparé de la Géorgie et des deux Carolines. Le parti des tories, les royalistes, relevait la tête. Les patriotes semblaient consternés. Heureusement, le courage et l’héroïsme des femmes américaines relevèrent leurs époux, leurs pères, leurs fils de leur abattement. Bientôt, de toutes parts, on courut aux armes, et les républicains, par un redoublement d’ardeur et de fermeté, se montrèrent dignes du secours que la France leur envoyait.

Dans le nord, Washington, inébranlable au milieu des revers, rassurait le congrès et contenait, sans se compromettre, les forces redoutables de Clinton. Enfin, la fortune allait seconder son génie. Le 27 avril 1780, il recevait de La Fayette ce billet daté de l’entrée du port de Boston :

« Je suis ici, mon cher général, et au milieu de la joie que j’éprouve à me retrouver un de vos fidèles soldats, je ne prends que le temps de vous dire que je suis venu de France à bord d’une frégate que le roi m’a donnée pour mon passage. J’ai des affaires de la dernière importance que je dois d’abord communiquer à vous seul. En cas que ma lettre vous trouve de ce côté-ci de Philadelphie, je vous supplie de m’attendre et vous assure qu’il pourra en résulter un avantage public. Adieu, vous reconnaîtrez aisément la main de votre jeune soldat. »

Le retour de La Fayette produisit la plus vive sensation. Toute

  1. Voir lettre à M. de Maurepas, 25 janvier 1880.