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la population de Boston courut au rivage pour le recevoir. Il fut conduit en triomphe chez le gouverneur Hancock, d’où il partit sur-le-champ pour le quartier-général. Washington apprit avec une vive émotion l’arrivée de son jeune ami. A la réception du courrier qui lui apporta cette nouvelle, des larmes coulèrent de ses yeux.

La Fayette fut reçu avec les manifestations les plus joyeuses par l’armée américaine. Il apprit alors au commandant en chef ce qui avait été résolu par le cabinet de Versailles et l’arrivée du secours si attendu. L’histoire doit l’enregistrer avec satisfaction : Louis XVI, avec un grand sens de la politique extérieure, n’avait pas eu besoin d’être stimulé par ses ministres. Il avait dû souvent prendre les devans. Les documens publiés font ressortir de la façon la plus honorable son rôle personnel dans la question américaine. Washington sentit toute l’importance de ces communications et regarda cette heureuse nouvelle comme décisive pour les affaires de son pays[1].

L’amour-propre des Américains était sauvegardé par les instructions confidentielles de M. de Vergennes. Il avait été réglé que le corps commandé par le lieutenant-général de Rochambeau serait entièrement aux ordres de Washington et ne ferait qu’une division de son armée. Les Français ne seraient jamais regardés que comme auxiliaires, prenant la gauche des troupes des États-Unis, et le commandement devait appartenir, à parité de grade et de date, au commandant américain.

Le secret fut bien gardé. Mais les préparatifs furent longs, et le vent fut contraire au départ de Brest pendant presque autant de semaines encore qu’il en avait fallu pour effectuer l’embarquement. Le 2 mai seulement, le chevalier de Ternay, commandant l’escadre, prit le large avec six vaisseaux, cinq frégates et son convoi. Dans la lettre adressée le 3 juin à La Fayette par le ministre de la marine, il est dit: « Le convoi vous mène 5,500 hommes effectifs; le défaut de bâtimens de transport n’a pas permis d’embarquer plus de monde, et la saison est bien avancée pour envoyer tout de suite le reste. Il est probable qu’on ne pourra faire partir qu’en automne les deux autres régimens. Peut-être est-ce un bien? Nous saurons comment les premiers auront été accueillis et si on en désire plus. » Les deux régimens ne furent pas envoyés.

L’escadre du chevalier de Ternay entra le 17 juillet dans le port de Rhode-Island, après soixante-dix jours de navigation. La petite armée de Rochambeau campa près de New-York. Le général anglais Clinton s’embarqua aussitôt avec 10,000 hommes pour

  1. Instructions remises à La Fayette, le 5 mars 1780; annexes, p. 314, t. IV. Doniol.