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descendre à Rhode-Island, mais le corps expéditionnaire renforcé par trois mille Américains que La Fayette et le général Heats amenèrent s’était mis en telle mesure de défense, que Clinton ne persista pas dans son projet. Il en fut d’ailleurs détourné, en apprenant la marche de Washington qui se rapprochait de New-York.


II.

Les troupes françaises étaient remplies d’ardeur, et le bon accord des deux alliés justifiait les prévisions et la conduite politique de La Fayette. Jamais il n’avait cependant trouvé Washington plus victime de l’âpre rivalité des intérêts de son pays et des jalousies démocratiques. Ce grand citoyen voyait l’armée, avec laquelle, depuis cinq ans, il défendait l’indépendance nationale, toucher aux derniers sacrifices. Comme l’écrivait La Fayette à M. de Vergennes, le 23 juillet, le congrès n’avait ni argent, ni papier. « Les officiers et soldats de l’armée américaine n’ont pas un schelling. Les premiers ne reçoivent qu’une ration et n’ont point d’habits, sans avoir, comme les soldats, l’espérance d’en recevoir de France[1]. »

Les Français s’étant fortifiés à Newport et Clinton ayant renoncé à les attaquer, La Fayette put entretenir Rochambeau et son état-major du projet d’opérations offensives, combiné par Washington pour la réduction de la ville et de la garnison de New-York. La Fayette en désirait l’accomplissement avec beaucoup d’ardeur, et le général en chef y ajoutait un grand prix. Cependant la chose était difficile. Quoique la prise de New-York eût toujours été dans les vues du ministère français, les instructions de Rochambeau lui prescrivaient d’attacher une importance capitale au poste de Rhode-Island et d’en faire sa base d’opérations. Il répugnait donc à s’en éloigner pour marcher sur New-York[2].

D’autre part, le chevalier de Ternay ne pouvait avoir la supériorité maritime qu’après l’arrivée de la seconde division de la flotte impatiemment attendue de France, ou par la jonction avec l’escadre de M. de Guichen, alors dans les Antilles. Plusieurs conférences se tinrent vers la fin de juillet et le commencement d’avril entre Ternay, Rochambeau et La Fayette. Ce dernier, dans une longue lettre officielle, datée du 9 août 1780, avait résumé, comme dans un procès-verbal, toutes les questions, afin d’en présenter un compte-rendu à Washington. Le 12, Rochambeau fait connaître au marquis qu’il a sollicité directement du général en chef un rendez-vous, pour

  1. Archives des affaires étrangères, annexes; Doniol.
  2. Correspondance de La Fayette, t. Ier, p. 346, 357 et 365.