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que l’amiral et lui discutent verbalement un plan définitif. « On fera plus en un quart d’heure de conversation que par des dépêches multipliées... Sur ce que vous me mandez, mon cher marquis, que la position des Français à Rhode-Island n’est d’aucune utilité, je vous observerai que je n’ai pas encore ouï dire qu’elle ait nui à aucun d’entre eux. Je crains les Savannah et autres avertissemens de cette espèce, dont j’ai tant vu dans ma vie. Il est un principe en guerre comme en géométrie, Vis imita fortior. Au surplus, j’attends les ordres de mon généralissime... Je vous embrasse, mon cher marquis, du meilleur de mon cœur. »

Cette ardeur naturelle de La Fayette ne faisait actuellement que correspondre aux dispositions de Washington, désireux de sortir d’une inaction fatale à sa cause.

Dans ses Mémoires[1], Rochambeau dit, pour la justification de La Fayette, qu’il rendait « substantiellement » les sentimens du général en chef, et que ce dernier se servait de la jeunesse et de l’ardeur de son lieutenant pour les exprimer avec plus d’énergie. La Fayette, en effet, insiste. Il a rendu compte à Washington des conférences, et il a reçu de pleins pouvoirs pour arrêter définitivement le plan de campagne. On avait du reste créé exprès pour lui un corps d’élite destiné à être l’avant-garde de l’armée. Le marquis parlait donc aussi avec l’autorité d’un général des États-Unis.

Cette insistance, qu’il ne tenait pas seulement de sa jeunesse, mais aussi de son optimisme, de cette confiance heureuse faite d’enthousiasme et de persistance, qui était le fond de sa nature, cette insistance auprès d’un officier supérieur plus expérimenté que lui, aurait fini par tourner en acrimonie, et aurait pu amener entre les deux armées des divisions fâcheuses. La Fayette le comprit, et avec une spontanéité qui tenait à la fois de sa modestie et de sa bonté, il écrivit au général Rochambeau : « Si je vous ai offensé, je vous en demande pardon, pour deux raisons ; la première que je vous aime, la seconde que mon intention est de faire ici tout ce qui pourra vous plaire. Partout où je ne suis que particulier, vos ordres seront pour moi des lois, et pour le dernier des Français qui sont ici, je ferais tous les sacrifices plutôt que de ne pas contribuer à leur gloire, à leur agrément, à leur union avec les Américains. Tels sont, monsieur le comte, mes sentimens, et quoique vous m’en supposiez de bien contraires à mon cœur, j’oublie cette injustice pour ne penser qu’à mon attachement pour vous... Mon tort a été d’écrire avec chaleur, officiellement, ce que vous auriez pardonné à ma jeunesse, si je vous l’avais écrit en

  1. Voir Mémoires de Rochambeau, p. 248 et 249.