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Il ne resta pas trace de cet incident, entre le vaillant soldat de la guerre de sept ans et le chevaleresque ami de Washington.

La conférence, si désirée par Rochambeau et longtemps différée, fut enfin accordée. Le rendez-vous fut fixé à Hartford, dans le Connecticut. La Fayette et Washington, pour s’y rendre, quittèrent l’armée le 18 septembre. C’est à la suite de cette entrevue qu’il fut décidé qu’on enverrait à Paris le colonel américain Laurens, fils de l’ancien président. Il fut choisi, presque unanimement, par le congrès. Son dévoûment à la cause de l’indépendance, ses longs services militaires, la réputation qu’il s’était acquise, le firent balancer à se charger de cette mission. Il voulait qu’on donnât la préférence à M. Hamilton, aide-de-camp de Washington. Il partit néanmoins, muni de toutes les instructions. Nul ne voyait plus clairement l’état de détresse de son pays et le besoin extrême qu’il avait non pas d’un cordial accueil, mais de secours prompts et puissans dans tous les genres, qui missent en état de prendre New-York et d’y faire signer enfin une paix glorieuse[1].

C’est en revenant de la conférence de Hartford que fut découverte la conspiration d’Arnold. Washington aurait encore trouvé ce général à son quartier, si le désir de montrer à La Fayette le fort de West-Point, construit pendant son absence, ne l’avait point porté à s’y rendre avant d’arriver à Robinson’s house, où logeait le général Arnold. C’est le seul officier américain qui ait jamais pensé à se servir de son commandement comme d’un moyen de fortune. Tous les autres faisaient la guerre à leurs dépens. Les affaires commerciales ou industrielles étaient ruinées par leur absence, et ceux qui avaient des professions en avaient perdu l’exercice. Qui ignore que Washington, sachant la pénurie du trésor, ne voulut jamais accepter d’émolumens, se contentant de se faire rembourser les dépenses les plus nécessaires?

Tous les historiens américains ont rendu un compte détaillé de la trahison d’Arnold, nous n’en referons pas après eux le récit. Nous ne rappellerons que la réponse pénétrante de M. de Vergennes à l’amiral de Ternay, qui lui annonçait cet événement : « C’est moins l’exemple que j’appréhende, que les motifs sur lesquels a été appuyée la trahison. Ils peuvent trouver faveur dans un pays où la jalousie est en quelque sorte l’essence du gouvernement[2]. »

Dans une lettre, à sa femme, des 7 et 8 octobre 1780, La Fayette lui rendait compte des principaux faits accomplis depuis son arrivée à Boston. Il était moins seul. Le vicomte de Noailles, le second gendre du duc d’Ayen, avait suivi le comte de Rochambeau. Il était

  1. Rapport de M. de La Luzerne, p. 391; dépêches publiées par M. Doniol.
  2. Dépêches publiées par M. Doniol.