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Washington dans les termes d’une si haute confiance, lui exprima si chaleureusement ses sentimens d’estime et d’admiration pour le grand citoyen, que La Fayette ne put se dispenser de le lui écrire. Qui le croirait! Dans un dîner, chez le vieux maréchal de Richelieu, le survivant de tout un monde disparu, la santé de Washington fut portée avec toute sorte de respects par les maréchaux de France. La Fayette, qui était un des invités, fut prié de lui présenter les hommages des convives. Il s’en acquitta le plus galamment du monde, et il ajoutait dans sa lettre : « Tous les jeunes gens de la cour sollicitent la permission d’aller en Amérique. »

Cependant, les négociations pour la paix n’aboutissaient pas. Les dispositions du gouvernement français satisfaisaient La Fayette. Ami du nouveau ministre de la marine, le marquis de Castries, il suivait avec patriotisme les efforts de nos intrépides marins, qui soutenaient sur toutes les mers, contre les Anglais, l’honneur de notre pavillon, et il entretenait avec Washington une correspondance active : « Nos deux nations, lui disait-il, seront pour toujours attachées l’une à l’autre, et l’envie et la perfidie britanniques dont toutes deux sont l’objet ne peuvent que cimenter entre elles une amitié et une alliance éternelles[1]. »

L’Angleterre proposait secrètement à la France de faire une paix séparée à des conditions très favorables. M. de Vergennes refusa; mais on craignait, en France, que les Américains ne sussent pas refuser pareillement une proposition analogue. La Fayette et Washington voulaient avec raison que les alliés traitassent en même temps. Pour en finir, les cours de France et d’Espagne combinèrent une grande opération et confièrent au comte d’Estaing le commandement général de leurs forces de terre et de mer. L’amiral, en prenant cette difficile charge, exigea que La Fayette fût employé avec lui. Il fut nommé chef des états-majors des armées combinées. Mais avant qu’il ne se rendît à son poste, Mme de La Fayette, après sept mois de grossesse, mit au monde une nouvelle fille, celle qui fut Mme Louis de Lasteyrie. « Quoique délicate, j’espère qu’elle s’élèvera bien, écrit le père à Washington. J’ai pris la liberté de lui donner le nom de Virginie. »

L’expédition franco-espagnole devait partir de Cadix. La Fayette s’embarqua à Brest, le 6 décembre 1782, avec quatre bataillons d’infanterie, un équipage d’artillerie et cinq mille hommes de recrues, et alla joindre à Cadix le comte d’Estaing, qui s’y était rendu par terre, en passant par Madrid. Avant de prendre congé de M. de Vergennes, La Fayette s’était assuré de la promesse d’un

  1. Voir : Correspondance de La Fayette, t. II, p. 19; Washington’s Writings, t. VIII ; Mémoires de La Fayette, t. II, p. 4 ; lettres des 14 octobre et 22 novembre 1782.