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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/426

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la cour d’Espagne. Il se borna donc à demander au comte d’Estaing de faire partir un bâtiment pour l’Amérique. L’amiral donna l’ordre d’appareiller au navire qui s’appelait le Triomphe. Il était porteur de deux lettres de La Fayette, datées de Cadix, du 5 février 1783, annonçant la signature des préliminaires de la paix, l’une adressée au congrès, l’autre à Washington. Dans la première, il disait : « Aujourd’hui que notre noble cause a prévalu, que notre indépendance est fermement établie et que la vertu américaine a obtenu sa récompense, aucun effort, je l’espère, ne sera négligé pour fortifier l’union fédérale. Puissent les États être toujours unis, de manière à défier les intrigues européennes. Sur cette union reposeront leur importance et leur bonheur. C’est le premier vœu d’un cœur plus véritablement américain que des mots ne peuvent l’exprimer. »

Sa lettre à Washington était plus expansive, plus émue : « Si vous n’étiez, lui écrivait-il, qu’un homme tel que César ou le roi de Prusse, je serais presque affligé pour vous de voir se terminer la tragédie où vous jouez un si grand rôle. Mais je me félicite avec vous, mon cher général, de cette paix qui accomplit tous mes vœux. Rappelez-vous nos temps de Valley-Forge, et que le souvenir des dangers et des travaux passés nous fasse jouir davantage de notre situation présente. Quels sentimens d’orgueil et de bonheur j’éprouve en pensant aux circonstances qui ont déterminé mon engagement dans la cause américaine! Quant à vous, mon cher général, qui pouvez dire véritablement que tout cela est votre ouvrage, quels doivent être les sentimens de votre bon et vertueux cœur en cet heureux moment, qui affermit et qui couronne la révolution que vous avez faite ! Je sens qu’on enviera le bonheur de mes petits-enfans lorsqu’ils célébreront et honoreront votre nom. Avoir eu un de leurs ancêtres parmi vos soldats, savoir qu’il eut la bonne fortune d’être l’ami de votre cœur, sera l’éternel honneur dont ils se glorifieront, et je léguerai à l’aîné d’entre eux, tant que durera ma postérité, la faveur que vous avez bien voulu conférer à mon fils George. Je m’étais disposé à aller en Amérique à la nouvelle de la paix. La copie ci-jointe de ma lettre au congrès, celle que j’écris officiellement à M. Livingstone, en le priant de vous la communiquer, vous instruiront pleinement des raisons qui me pressent de partir pour Madrid. De là, je ferai mieux d’aller à Paris, et dans le mois de juin je m’embarquerai pour l’Amérique. Heureux, dix fois heureux serai-je en embrassant mon cher général, mon père, mon meilleur ami, que je chéris avec une affection et un respect que je sens trop bien pour ne pas savoir qu’il m’est impossible de les exprimer!.. A présent que vous allez goûter quelque repos, permettez-moi de vous proposer un plan qui pourrait